PRESSE ECRITE ET ENVIRONNEMENT: LE JOURNALISME ENVIRONNEMENTAL, UN GENRE A LA RECHERCHE DE SA VOIE

Ibrahim MAIGA: Auteur de la thèse de doctorat (2018) en socio-anthropologie du changement social et du développement intitulée « Politiques environnementales et médias au Mali ».

Diplômé de l’Ecole Normale Supérieure au départ, Ibrahim MAIGA est devenu journaliste, avec une carrière essentiellement accomplie dans la presse écrite. Il a soutenu au mois d’avril 2018, à l’Institut Supérieur de Formation et Recherche Appliquée, de l’université de Bamako, une thèse de doctorat en socio-anthropologie du changement social et du développement intitulée « Politiques environnementales et médias au Mali ». Sous la direction du Professeur Younoussa TOURE, il a focalisé sa recherche sur le traitement de l’information environnementale dans la presse écrite quotidienne d’informations générales. Dans cette interview, il revient sur les grands moments de cette thèse qui est l’un des rares travaux universitaires sur les liens entre la presse et le développement dans notre pays.

NYELENI Magazine : Pourquoi s’intéresser à la presse dans le cadre d’une étude sur l’environnement?

Ibrahim MAIGA : Je me suis intéressé à la relation entre la presse et l’environnement dans le cadre de mon expérience professionnelle accumulée au fil d’une pratique d’une quinzaine d’années. Ma motivation est venue de ma volonté de capitaliser mon expérience professionnelle à des niveaux politiques et techniques, dans le domaine de l’environnement. Au niveau politique, de 2003 à 2007, j’ai été en poste au Cabinet du ministre en charge de l’Environnement du Mali en qualité de « Chargé de mission», affecté à la communication. Cette expérience m’a permis d’avoir un éclairage aigu sur la perception et la compréhension de la réalité vue à travers le prisme des institutions.

NYELENI Magazine : Quel est ce constat ?

Ibrahim MAIGA : J’ai pu me rendre compte du décalage entre les ambitions politiques et les moyens alloués à la communication, en tant qu’activité qui doit engager, au-delà des ressources matérielles, des ressources humaines, des spécialistes de l’information. Ce qui n’était pas le cas d’où un déficit apparent dans la mise en perspective médiatique des actions de développement. Ce déficit est d’autant plus présent que pour beaucoup d’hommes politiques, la communication doit se résumer à l’achat d’un téléviseur, d’un vidéo projecteur, d’un appareil photographique approximatif; à l’abonnement à certains journaux, à la confection de gadgets publicitaires en début d’année, à la création de sites web dont la mise à jour n’était pas assurée. Pour d’autres, «on communique» quand la télévision nationale est présente à tous les coups: ouverture des ateliers, restitution des études, visites de terrain, journées spécifiques…

NYELENI Magazine : Quelle vision les politiques ont des médias ?

Ibrahim MAIGA : Pour eux, les médias ne sont que des outils destinés à faire leur promotion d’abord : «un ministre ne travaille que s’il est régulièrement vu à la télé ». A ce niveau de responsabilité, j’ai pu apprécier la véritable dimension de la perception que les hommes politiques ont des médias. Au niveau technique, de 2007 à 2017, j’ai dirigé le Département en charge de la Communication, de la Formation et de la Documentation, à l’Agence de l’Environnement et du Développement Durable, (AEDD), un Etablissement Public à caractère Administratif dont la mission essentielle est de veiller à la prise en compte de la dimension environnementale dans toutes les politiques de développement du pays.

L’une de mes attributions spécifiques était de rendre lisible l’action de l’AEDD à travers les formes et les canaux de communication appropriés, à travers la production et la réalisation de certains évènements médiatiques comme la Quinzaine de l’Environnement, la plus grande campagne de mobilisation sociale en faveur de l’environnement. A ces deux niveaux, il faut ajouter une profonde curiosité scientifique sur la compréhension même du rôle des médias, en général et la presse écrite particulièrement, dans l’expression et le renforcement de la citoyenneté, dans l’accompagnement et l’accomplissement du développement en tant que processus participatif.

NYELENI Magazine : Quel était votre échantillonnage et sur quelle période avez-vous travaillé?

Ibrahim MAIGA : Je rappelle que j’ai seulement travaillé sur la presse écrite quotidienne d’informations générales, à partir de la technique des études d’audiences, sur une période de quinze ans. L’étude d’audience permet de dégager les paramètres sur lesquels, les annonceurs et les gouvernants peuvent se baser pour orienter leur politique commerciale ou prendre le pouls de la société à un moment. Elle est basée sur l’interrogation d’un nombre d’individus selon les critères de la statistique et de la probabilité. L’enquête a porté sur l’audience des journaux dont le classement a donné les résultats suivants : «L’Indépendant» 14,6%, «Les Echos» 12,9%, «Info Matin» 12,8% et « Le Républicain» 9,9%. Nous avons indexé les matériaux dans le temps, à l’aune de la tenue de la «Quinzaine de l’Environnement», soit une période de quinze ans, de 1999 à 2014.

Ce temps nous a permis de suivre fondamentalement le rapport des médias à l’environnement, l’évolution du traitement de l’information dans chacun des journaux retenus. Sur l’ensemble de la période investiguée, nous avons dénombré un total de 236 articles. La première apparition se trouve dans les colonnes de « L’Essor » avec un sujet traité en 1999. Le traitement médiatique va sensiblement gagner en volume, à partir de 2005 pour atteindre en 2011 la crête de 30 sujets. Sur cet effectif, 09 sont dans les colonnes de « L’Essor » et 09 dans les colonnes de « Info Matin ».

NYELENI MAGAZINE : Expliquez-nous le déroulement de l’enquête?

Ibrahim MAIGA : De façon opérationnelle, pour avoir une idée assez nette du processus de sélection et de fabrication de l’information, nous avons construit au préalable un modèle théorique à partir d’une grille d’analyse dont les indicateurs nous ont permis d’observer l’activité des journalistes telle que consignée dans les différents articles. Nous avons mis en avant les indicateurs spécifiques suivants : l’écriture journalistique, la surface rédactionnelle, les genres rédactionnels, les catégories d’articles, la mise en page des informations, le mode d’illustration.

NYELENI Magazine: Quels sont selon vous, les genres rédactionnels utilisés pour couvrir les questions en lien avec l’environnement?

Ibrahim MAIGA : Sur l’ensemble de la période, nous avons constaté que, de tous les genres rédactionnels, les journaux n’ont eu recours qu’au compte rendu, à la reprise de deux «dépêches » et à un courrier des lecteurs. Le compte rendu avec 226 unités représente 95,76%.   La répartition dans les journaux met en tête «L’Essor» avec 73 unités, soit 30,93% ; «Le Républicain» et « L’Indépendant» avec 53 et 51 unités, soit sensiblement 22% ; «Les Echos» avec 31 unités, soit 13,13%; et «Info Matin» avec 18 unités, soit 4,66%. Sur l’ensemble du corpus, nous avons observé 226 comptes rendus, soit un volume 95% des genres rédactionnels utilisés.

NYELENI Magazine : Donc, on ne sent aucun engagement de la part des journalistes ?

Ibrahim MAIGA : La parole qui est rapportée est celle proposée par les organisateurs. Aucune place n’est faite à la contradiction. Il n’y a pas d’éditorial, donc pas d’engagement politique assumé. Il n’y a pas d’enquête, alors même que pour une protection responsable de l’environnement, il faut une information consistante des citoyens, à partir des échecs et des réussites dans différents domaines, très souvent en dehors de la sphère gouvernementale. On peut tirer des constats. Le premier est que «L’Essor» qui accorde une grande place à l’information environnementale n’est pas un journal d’opinion, d’où l’absence d’éditorial. Ici, il ne s’agit pas d’un engagement propre à l’environnement, mais à tous les sujets. Le même constat prévaut dans la presse indépendante où pas un seul éditorial n’a été observé sur toute la période. Or, l’éditorial fait partie des arguments d’autorité, en nous référant au schéma récapitulatif des familles d’arguments retenues par Breton (1996:71). La signature de l’éditorial par le premier responsable du journal est la preuve d’un engagement résolu. Au-delà du nombre, tous les journaux ont la même pratique, comme si tous étaient au service des organisateurs.

NYELENI Magazine : Avez-vous un problème avec le compte rendu comme genre rédactionnel ?

Ibrahim MAIGA : Dans le cadre de cette étude, le compte rendu est moins problématique. Il se base sur le fait que le journal se charge de rapporter à des lecteurs absents ce qui s’est passé, au cours d’un évènement. Mais au-delà des genres, il y a d’autres informations importantes. A titre illustratif, on retient que sur les 18 catégories indexées, la «Communication/Sensibilisation» enregistre la plus grande régularité avec un total de 153 sujets, soit 64,83%. Sur cet effectif, les occurrences les plus élevées se retrouvent dans les colonnes de «L’Essor» avec 42 unités, soit 17,79%. Suivent, «L’Indépendant» avec 16,52%, «Le Républicain» avec 15,67%, «Les Echos» avec 8,47% et «Info Matin» avec 7,62%. Des thématiques d’actualité comme «les changements climatiques», la biodiversité, la désertification sont absentes. En réalité, elles ont été abordées sous l’angle de la communication et de la sensibilisation.

NYELENI Magazine : Que pensez-vous de cette catégorie ?

Ibrahim MAIGA : La catégorie communication/sensibilisation qui est la plus régulière a aussi son évolution selon les tranches de période. Elle passe de 13 sujets dans la première, à 25 dans la deuxième pour culminer à 31 dans les colonnes de «L’Essor», soit 29,25% de l’ensemble des catégories. Dans les colonnes de «L’Indépendant », elle est de 14 sujets pour la première période, à 21 pour la deuxième période avant de retomber à 15 sujets dans la troisième période, soit 21% de l’ensemble des catégories. Dans les colonnes de «Info Matin», les valeurs obtenues sont de 06 sujets pour la première période, à 12 pour la deuxième et 27 pour la dernière période, soit 19 % de l’ensemble des catégories.

Dans «Le Républicain», les valeurs sont égales pour les deux premières périodes avec 3 sujets. Elles passent à 12 pour la dernière période, soit 07,60% pour l’ensemble des catégories observées. Pour «Les Echos», les valeurs sont de 10 et 11 sujets pour les deux premières périodes et 15 pour la dernière, soit 15,25%. En croisant les données de l’ensemble des surfaces nominales des différents journaux sur la période d’observation dans le mois, sur le pas de temps de quinze ans, par l’ensemble des surfaces rédactionnelles réellement obtenues, nous retenons que l’information environnementale ne représente que seulement 3,22% du menu des journaux.

NYELENI Magazine : Pour vous, pourquoi la presse ne s’intéresse-t-elle pas aux sujets sur l’environnement?

Ibrahim MAIGA : La presse s’intéresse à l’environnement, mais pas de façon aussi régulière comme elle le fait pour les sujets d’intérêt politique. Le thème a connu une évolution allant d’une simple annonce à la rédaction de comptes rendus circonstanciés. D’un seul sujet en 1999 dans les colonnes du quotidien national d’information, la couverture a évolué au fil des ans, dans tous les journaux de façon significative. Il est aisé de comprendre que dans la presse écrite d’informations générales, que l’environnement n’est qu’un sujet parmi d’autres priorités. Il y a que, dans une entreprise qui doit faire des profits, l’environnement n’est pas la première des préoccupations commerciales à côté de la politique par exemple qui constitue une matière première fondamentale.

Nous avons retenu dans le cas précis de cette étude que la presse ne s’intéresse pas à l’environnement de son propre gré. Elle est sollicitée pendant la période de la quinzaine de l’environnement par les organisateurs de l’évènement, mais après le sujet est quasi absent. Elle n’y revient que pendant quelques évènements sporadiques comme pendant les inondations.

NYELENI Magazine: Si intérêt il y a pour la presse, quelle peut être la différence dans le traitement de l’information sur la question, selon que l’on soit dans la presse privée ou gouvernementale?

Ibrahim MAIGA : Nous avons vu que sur l’ensemble de la période investiguée, l’information environnementale à 46 reprises, ce qui représente 19,49% de l’ensemble des articles dénombrés. Sur l’ensemble des mises en page à la «unes», la catégorie «Communication/Sensibilisation» enregistre 18 occurrences, soit 39,13%. De cet effectif, «L’Essor» se singularise avec 12 occurrences, soit 26,08 % des « unes ». «L’Indépendant» et « Le Républicain» ont placé l’information environnementale à seulement trois reprises, soit 6,52%. «Info Matin» et «Les Echos» n’en font pas cas.

Nous en déduisons que la couverture médiatique de l’information environnementale est d’inégale importance selon qu’il s’agisse de la presse gouvernementale et la presse privée. Dans la couverture médiatique, nous avons vu qu’il y a une grande différence entre la « façon de faire » des journaux selon qu’il s’agit de «L’Essor», le Quotidien national d’information, et les autres titres privés. Cette différence s’explique par le fait que l’évènement qui a été au centre de cette étude, à savoir la « Quinzaine de l’Environnement » est une activité organisée par un service de l’Etat dont «L’Essor» assure la mise en perspective. Les acteurs qui interviennent ici sont les acteurs qui représentent l’Etat, au niveau du Président de la République, du Premier ministre, des ministres et autres agents. «L’Essor» bénéficiant des subsides de l’Etat, à travers la structure du capital et une politique commerciale basée encore sur les services de l’Etat n’a pas les mêmes difficultés économiques que la presse privée, dont les rentrées sont à d’autres niveaux.

NYELENI Magazine : Quelle conclusion avez-vous tiré après votre étude sur comment mieux traiter le sujet?

Ibrahim MAIGA : Cette étude nous a permis d’évaluer la couverture médiatique d’un évènement environnemental par la presse écrite sur une période d’observation relativement longue. Dans la posture du sociologue, nous avons pu analyser les logiques de construction, de mise en perspective et de diffusion des nouvelles, à travers les modalités d’expression des journaux. Après avoir passé en revue de façon précise l’agenda médiatique de la « Quinzaine de l’Environnement », nous avons, à l’aide du tri à plat, apprécié l’évolution de l’information du point de vue des politiques et de celui des journalistes, dans le temps et l’espace. De façon linéaire, nous avons observé, un intérêt progressif de la presse pour les préoccupations environnementales. Mais cette tendance n’est pas conforme à la montée des périls. Elle n’est surtout pas illustrative d’un engouement indépendant de la presse, par rapport à toutes les sources d’information qui interviennent dans le secteur: l’Etat, la société civile, …

L’environnement apparait comme un objet délaissé; du coup le journalisme environnemental est encore au stade embryonnaire. L’information environnementale, en plus d’être peu exploitée est confinée dans un seul genre ; celui du compte-rendu. Et même là, les journaux auraient pu faire preuve d’originalité, car même le «compte rendu» aurait pu avoir une dimension politique ou idéologique, à partir du moment où un journaliste peut toujours s’intéresser à des aspects qui ne sont pas ceux que les organisateurs veulent voir dans la presse. Nonobstant, les transformations intervenues dans l’organisation interne des journaux, le journalisme environnemental est une spécialité dont la revendication est encore difficile au Mali. Le genre cherche encore sa voie.

Propos recueillis par Maïmouna TRAORE

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