« LE SILENCE DES PAPILLONS »: PRIX LITTÉRAIRE MASSA MAKAN DIABATÉ DE 2024

Zeïna Haïdara est notre nouvelle lauréate du prix littéraire Massa Makan Diabaté de la rentrée littéraire 2024, avec son roman« LE SILENCE DES PAPILLONS » paru en 2023 aux « Éditions Gafé ». Zeïna Haïdara a fait les lettres et langues au lycée Notre Dame du Niger. Après le BAC, elle a passé un an à l’école Nationale d’Administration (ENA). Aujourd’hui, Zéïna a une Maîtrise en Finance-Management, obtenue à Sup’Management. Elle nous parle ici de son œuvre, sa vision de la vie et ses perspectives.

NYELENI Magazine : Votre inspiration vient d’où ?

Zeïna Haïdara: Je m’inspire de mon environnement, de la nature, de la beauté, de la laideur, de mes propres expériences et de celles des autres, ou même d’un visage, d’un sourire,  d’un nom, d’une citation ou d’une simple phrase etc…

NYELENI Magazine : De quoi parle «  LE SILENCE DES PAPILLONS » ?

Zeïna Haïdara: Le silence des papillons est inspiré de faits réels et parle de l’histoire de trois jeunes femmes en proie à des maltraitances de la part de leurs proches et qui doivent garder le silence sur ces abus, au risque de se faire rejeter par la société ou leur propre famille. Par conséquent, elles vont se tourner vers une sorte de voyante pour trouver des solutions à leurs problèmes. Le roman traite des maux qui détruisent les fondements de la société malienne tel que, l’abandon de l’école par les filles, la prostitution juvénile, les viols sur mineure, les violences physiques et psychologiques faites aux femmes dans leur foyer, soit par le mari, soit par la coépouse ou la belle-femme. La folie de grandeur ou si vous préférez les fausses apparences, le fait de vivre au-dessus de ses moyens, quitte à voler, à tricher, à se prostituer pour y arriver. Ces femmes portent un masque à longueur de temps. Le roman parle également, de charlatanisme (les marabouts, les féticheurs, les jeteurs de cauris et autres charlatans qui piègent les femmes qui sont dans la détresse).

NYELENI Magazine : Pourquoi les papillons ?

Zeïna Haïdara: Je souhaite d’abord parler de ce silence si lourd que l’on impose à la femme dans notre société lorsqu’elle se fait violée, humiliée, maltraiter dans le mariage que ce soit, par le conjoint ou la belle-famille. On conseille à la femme de se taire et de supporter. Que tout cela prendra fin. Dans le pire des cas, la femme se fait assassiner ou gravement mutiler. La violence faite aux femmes a pris de l’ampleur au Mali. Et la solution, c’est d’en parler et de changer les choses au lieu de regarder faire.

Par rapport aux papillons : Je fais une sorte d’analogie, si vous préférez une comparaison entre le cycle de vie de la femme et d’un papillon. La femme est l’un des piliers de l’humanité. Le papillon, quant à lui,  fait partie des insectes les plus utiles de la planète. C’est un insecte pollinisateur comme les abeilles. Sans ces insectes, pas de plantes, pas d’agriculture, pas de pluie.

Étape du cycle de vie d’un papillon et d’une femme :

Le papillon devient une larve ou chenille lorsqu’il quitte son œuf et en cherchant à se nourrir il se fait dévorer par de plus grands insectes ou de petits animaux. De même qu’une fille, dans certaines contrées de ce monde, est tuée à la naissance, juste parce qu’elle est une fille. On la dit inutile et chère à entretenir, puisque l’on doit payer une dot pour elle plus tard. Celles qui échappent à la mort sont mariées de force. Elles ne bénéficient souvent d’aucune éducation. Elles sont souvent torturées et humiliées par le mari ou la belle-famille. Par ailleurs, quand la larve du papillon atteint une certaine maturité, elle se transforme en chrysalide et devient par la suite un magnifique papillon. De même qu’une femme qui échappe au mariage forcé, si elle a la chance d’étudier, elle va rencontrer des difficultés et si elle obtient un diplôme, elle sera confrontée à la discrimination professionnelle parce que l’on la croit moins capable que les hommes. Soit elle ne trouve pas de travail, soit elle est moins bien payée que ses collègues masculins, qui ont pourtant la même charge de travail qu’elle ou moins. C’est d’ailleurs pour cela, que certaines filles quittent l’école pour se marier et aspirer à un certain confort matériel dans le mariage. Malheureusement, de nombreuses filles ou femmes au Mali, sont abandonnées par leur époux après quelques mois de mariage. Si on en revient à la chenille qui s’est métamorphosée en un magnifique papillon, elle va être traquée par des hommes collectionneurs de papillons. Ces papillons seront épinglés dans un tableau et accroché au mur. Selon mon constat, des hommes maliens épousent plusieurs belles femmes pour les garder à la maison. Et lorsqu’ils n’en veulent plus, ils les divorcent pour aller en prendre d’autres plus jeunes et plus belles. De ce fait, ces femmes tombent dans une profonde dépression. Ici au Mali, rares sont les hommes qui pensent à l’épanouissement de leurs épouses. Rien qu’à voir le taux de féminicide qui augmente ou des mutilations qui se multiplient, on peut se rendre compte que certains hommes « objetisent » la femme dans notre société. Donc tels des papillons, elles cherchent à prendre leur envol. Elles ont aussi  le droit de penser à leur développement et épanouissement personnels

Zéïna Haïdara avec Mme Touré Aïcha Diarra, la Directrice des « Éditions Gafé » à la remise du prix

 NYELENI Magazine :Pour vous, écrire signifie quoi ?

Zeïna Haïdara: Pour moi, écrire signifie m’évader, voyager par l’esprit où je veux et quand je veux. Grâce à l’écriture, je peux endosser plusieurs personnages, vivre plusieurs vies imaginaires. C’est un sentiment complet et vraiment formidable

NYELENI Magazine : D’autres œuvres en vue?

Zeïna Haïdara: Oui incha Allah. J’ai déjà un recueil de contes illustrés pour petits et grands à faire publier et quelques romans que je suis en train d’écrire.

NYELENI Magazine : Quelles sont les difficultés qu’on peut rencontrer dans l’écriture y compris l’édition au Mali ?

Zeïna Haïdara: Au Mali, si on écrit pour être riche, ce n’est pas la peine. Chaque écrivain malien, je le pense écrit par plaisir, par envie ou par passion. La difficulté majeure que l’on peut rencontrer, que ce soit dans l’écriture ou l’édition, c’est le manque de soutien de la famille et de l’État malien. Mais j’ai eu la chance d’être vraiment soutenue et aidée par ma famille. L’état malien doit s’impliquer dans l’édition des livres et aider financièrement les auteurs. Les écrivains laissent en héritage leur savoir pour enseigner, informer, avertir et éveiller les consciences de la jeune génération. Ce qui peut être très utile pour la reconstruction d’un Mali meilleur.

NYELENI Magazine : Comment voyez-vous l’avenir de l’écriture féminine dans notre pays ?

Zeïna Haïdara: Je pense que l’on peut espérer une valorisation de l’écriture féminine dans les années à venir. Grâce au Réseau des femmes écrivaines du Mali et de la Diaspora, qui organisent chaque année un évènement dédié à l’écriture féminine, les autrices commencent à avoir de la visibilité. La plume des femmes ne parle pas pour ne rien dire. Les écrivaines ont des messages très forts et importants à faire passer. Nous avons besoins d’être soutenues par les lecteurs, par les maisons d’éditions, les autorités maliennes et organismes destinés à l’éducation. Je pense que les femmes vont se  battre davantage pour faire évoluer l’écriture au Mali.

NYELENI Magazine : Un conseil pour les jeunes qui veulent se lancer dans l’écriture?

Zeïna Haïdara: Qu’elles s’y mettent dès maintenant. L’écriture et la lecture forgent le caractère. Elle permet d’exprimer ses opinions et de les assumer. Un grand auteur (Minga S. Siddick) avec qui j’ai animé un débat dans un lycée de Bamako a dit : « LIRE, c’est construire, Écrire, c’est se construire ». Dans ce cas il n’y a pas à hésiter. L’inspiration ne s’apprend pas certes, mais on peut bien apprendre à écrire (les techniques)

NYELENI Magazine : Votre dernier mot?

Zeïna Haïdara : Ce livre est un concentré d’espoirs, de résilience, d’avertissement pour les jeunes filles et les femmes. Le roman raconte l’histoire de chaque femme : que ce soit, celles qui ont réussi, celles qui tentent de construire leur vie, celles à qui on a brisé les ailes et qui cherchent à se reconstruire et celles qui ont été injustement tuées.

Maïmouna TRAORÉ

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