HABI BAMBA: ECRIVAINE ET HUMANITAIRE « …Je suis une citoyenne du monde »

Originaire de Léré/Nampala, Habi Bamba est née à Kourouma en 1967. Elle a grandi entre Sokolo, Dogofri (Kouroumari) et fait l’école fondamentale à Diabaly jusqu’au DEF, puis le lycée à Ségou. Après le baccalauréat, elle s’envole pour des études universitaires à l’extérieur. Détentrice d’un DEA (Diplôme d’Études Approfondies) en linguistique appliquée en 1995, à l’Université de Ouagadougou, d’une Maîtrise en Didactique des langues et Alphabétisation en 1993 à l’Université de Ouagadougou, un Certificat C1 en sociolinguistique en 1992 et une Licence en sociologie obtenue en 1991 à l’Université de Ouagadougou. En 2007, elle retourne à l’Université Legon du Ghana pour le Proficiency en anglais et un Certificat en Genre et Développement. Habi Bamba est mariée et mère de famille. Elle a publié sept (7) livres dont un signé de son nom « Koulouba la colline du pouvoir ». Habi aime la lecture, les échanges, le karaté, la danse, le chant et le théâtre.

NYELENI Magazine : Qui est Habi Bamba?

Habi Bamba : Je suis une femme, je suis noire et pauvre. Je suis une militante de la liberté, une épouse, une mère, une plume, et plus encore une citoyenne du monde. Je suis membre du Parlement des écrivains francophones, du Réseau des femmes écrivains du Mali et de la diaspora (RFEMD), et ambassadrice du Réseau pour la diaspora, depuis novembre 2021 qui m’a décerné une distinction spéciale RFEMD, accompagnée d’une belle enveloppe. J’anime un Café littéraire mensuel chez Passion &Cannelle Mariam Coste et consultante pour des ONG et Agences internationales. Je suis membres de plusieurs associations internationales de bienfaisances, basées à Abidjan.

Mes diverses expériences dans le domaine humanitaire m’ont permis de mesurer combien les humains sont liés et interdépendants. Les nantis ont besoin des non-nantis, vice versa. Tout est lié, tout est interdépendant. Mon regard sur le monde est celui d’un œil qui observe selon un prisme holistique. La résultante des expériences acquises en côtoyant les femmes dans les démarrages de leurs activités génératrices de revenus. Parfois, il suffit de peu pour réussir une révolution, un changement et impacter positivement la vie des autres. Dans la majeure partie du monde, la femme constitue une citoyenne de seconde zone. Cependant partout où je suis passée, la combativité de la femme était visible et cela faisait une grande différence dans les processus d’amélioration de son statut.

Le fait d’être pauvre est dur pour tout le monde, il l’est davantage pour les femmes. Lorsque celles-ci entrevoient une chance de changer leurs conditions de vie, et de les sortir de la pauvreté, elles deviennent plus combatives, plus motivées. Avoir la chance de servir dans le domaine humanitaire, et d’impacter positivement sur les vies des autres, partout où je suis passée, a été un honneur pour moi.

NYELENI Magazine : Vous êtes un globe-trotteur, toutes ces actions pourquoi ?

Habi Bamba : Contribuer aux efforts de développement socioéconomique de l’Afrique à travers les actions des Agences internationales, gouvernementales, universitaires, et participer à l’éveil des consciences de nos populations à travers mes livres. Tel est mon objectif. L’éducation est le catalyseur de notre destinée. C’est la forge où est conçu et dimensionné le fer de lance de l’individu. J’ai eu la chance de profiter du programme d’éducation de masse du Mali. L’école était obligatoire et gratuite. Tout était gratuit : les cahiers, les livres, les règles, les bancs, les stylos à bille, les crayons, etc. J’ai aussi eu la chance d’habiter à deux pas de l’école, et d’avoir des ainés qui avaient beaucoup de livres et de bandes dessinées (Bleck le rock, Zembla, Akim, Rahan, Kouakou, etc.). Ces livres illustrés ont aiguisé mon goût pour le voyage, et l’aventure. Aussi, nous recevions à la maison, un journal mensuel intitulé : La Chine en construction que mon papa lisait à haute voix les après-midis autour du café vespéral qui réunissait toute la famille. Cela m’amusait beaucoup et aiguisait mon envie de lire. Je voulais faire comme mon père, lire à haute et intelligible voix dès que je saurais déchiffrer un livre. Cela n’a pas tardé, je suis allée très tôt à l’école. Je suivais ma sœur ainée dans les classes, et comme l’institutrice habitait avec nous, elle fermait les yeux, et me laissait suivre les cours.

NYELENI Magazine : Vous êtes romancière. Est-ce ce que vous avez voulu faire depuis l’enfance?

Habi Bamba : Non pas du tout ! Enfant, je voulais être enseignante. J’étais sous le charme de ma maitresse d’école, Honorine, une institutrice, au grand cœur qui nous faisait lire de belles histoires dans des livres scolaires, et de contes, tous les jours. Il arrivait que nous apprenions par cœur des passages entiers des livres et les récitions. Les dix meilleures récitations étaient récompensées par des biscuits. Ainsi, toute la classe était motivée.  J’adorais entendre ma voix lorsque je récitais ou lisais mes leçons.

Je voulais souligner que la proximité avec l’école a beaucoup joué dans mon processus de socialisation et d’amour du livre et du prochain. Ma maison était une sorte de lieu de rencontre entre les élèves venus des quatre coins (Kourouma, Dogofri, Sokolo, Kogoni, etc.) une trentaine d’élèves y passaient, prendre leurs déjeuners, garer leurs vélos, utiliser les toilettes, se reposer entre midi et quatorze heures avant la reprise à quinze heures. Nous en profitions pour jouer des scènes de théâtre, réciter les classiques tels Le Cid, Les Femmes Savantes, Candide, Le Malade imaginaire, etc. Lorsque j’étais en classe de 6e année, l’école fondamentale de Diabaly a eu de grands directeurs tels que Salle, Hafman, Abdrahamane alias Bleni, et des enseignants venus de Bamako : Walama Doumbia, alias Walas, M. Ouédrago, Marconi Keita, Djibril Singaré, Ousmane Coulibaly alias Otis. Ils ont pris en leur main l’avenir des élèves en leur inculquant un enseignement exemplaire. Ma professeure de mathématique, physique et chimie était une Targuie aux longs cheveux. J’étais fascinée lorsqu’elle résolvait des équations de chimie. Et je me disais, il faut que je sois forte comme elle pour résoudre des équations de chimie.( rires).

Et puis, il y avait aussi les biennales qui mobilisaient la jeunesse et les encadreurs, je me rappelle certains tels qu’Aya Boly et Fof qui ont vraiment aidé les jeunes a avoir confiance en leur avenir. J’ai participé à deux biennales où je faisais de l’athlétisme et jouais à des pièces de théâtre. Je garde de très beaux souvenirs de toute cette période.

NYELENI Magazine : Vous êtes écrivaine, spécialiste des langues et diplomate, comment cela s’est opéré ?

Habi Bamba : Oui, je suis polyglotte et Sociolinguiste, spécialisée en Développement communautaire, en Alphabétisation fonctionnelle et en Didactique des langues. Après mes études universitaires en linguistique appliquée et en sociologie, j’ai commencé à travailler, et à m’expatrier hors de mon continent pendant de nombreuses années, un parcours qui m’a projetée dans le monde de l’humanitaire et de la diplomatie. J’y ai rencontré ma moitié, un homme charmant et intelligent qui m’a appris les rouages du système.

Mes pérégrinations m’ont permis de faire des rencontres exceptionnelles et enrichissantes, et de connaitre des gens d’horizons différents. Ces expériences renforcées par ma passion des livres m’ont inéluctablement entrainée à me pencher sur des questions qui m’interpellaient depuis belle lurette. Cela me donnait de la matière à écrire. D’abord pour des journaux, des cercles d’amis, ensuite en tant que plume. Je passe d’un genre à l’autre : poèmes, romans, etc.  À mon actif, j’ai écrit sept livres pour d’autres écrivains, et publié un livre signé de mon nom. Cela fait de moi l’auteure de « Koulouba la colline du pouvoir ».

NYELENI Magazine : Vous avez écrit votre premier livre quand?

Habi Bamba : Le premier roman qui porte mon nom est paru en 2014. Mais mon tout premier livre c’était en 1990,  j’étais encore à l’université sous les encouragements de mon professeur de Littérature orale, et depuis j’en ai écrit deux autres avant mes pérégrinations européennes. En 1999, j’ai co-écrit un guide avec un groupe de femmes des Nations Unies avant de prendre mon tout premier service à l’ambassade du Mali, sous l’autorité de SEM feu Ibrahim Bocar Daga alias Samba Daga, premier ambassadeur du Mali en Italie. Les horaires étaient de 9h à 15h. Cela me donnait le temps de faire des formations en italien au centre Torre di Babele, ensuite à la Sapienza. L’Italie est un pays incroyablement dynamique en matière de culture linguistique. À Rome, la seule langue parlée en dehors de celles des agences onusiennes et les ambassades est l’italien “tout se fait en italien et tout se dit en italien”,  aimait dire Rutelli un des maires de Rome de cette époque.

NYELENI Magazine : Quels sont les autres titres, vous parlez globalement de quoi dans ces différents écrits?

Habi Bamba : La migration, la politique, l’amour, le développement personnel, l’émancipation des femmes, la fuite des cerveaux, les cosmogonies, l’Afrique… Les thèmes peuvent sembler disparates, voire éclectiques, mais ils sont tous liés par une certaine dimension holistique, un commun dénominateur que je nomme : l’humaine condition sur cette terre.

Certes, parfois l’exigence des événements, l’actualité, les préoccupations nous amènent à nous pencher sur des thèmes qui peuvent englober des dimensions politiques et qui nous engagent à assumer en toute liberté leur portée. Aussi la singularité d’un sujet nous impose le rythme et le style voire le genre selon lequel il sera traité. Écrire est très souvent la vie que je mène. Je construis en permanence des trames à partir des faits de société, des non-dits, etc. l’imaginaire s’en mêle, et en fait des récits. En outre, ma curiosité, ma soif de connaissance s’impose en moi comme une quête personnelle qui me pousse à aller à la découverte de nouvelles choses, de nouveaux horizons. Il y a tellement de connaissances nouvelles à acquérir que souvent l’immensité de ses champs nous semble infinie. C’est là que nous mesurons la petitesse de notre existence et que tout ce que nous savons est très peu de chose par rapport l’étendue infinie du savoir. Je suis fascinée par le pouvoir de l’écriture. Je dirais que l’écriture est magique et libératrice.

 Mon parcours littéraire.

Passionnée des livres et de la littérature orale, j’y puise l’inspiration pour mes récits. Les codes et les beautés cachées des textes oraux n’ont pas de secrets pour moi.  Je les sublime en langage tangible. Avant la parution de mon premier livre, j’écrivais déjà pour des gens par pur altruisme. Après la parution de mon roman : Koulouba la colline du pouvoir, j’ai mis ma plume au service des personnes qui désirent transmettre des œuvres écrites à la postérité, mais qui ne sont pas en mesure de les écrire. Dans ce cadre, j’ai écrit pour d’autres écrivains et non-écrivains des livres de différents genres contre paiements. Un métier difficile mais rentable. Les tracasseries dues à la distribution/commercialisation/promotion des livres ont fait que j’ai préféré passer du côté des Gost writters. Le seul roman publié et signé de mon nom est un livre à compte d’auteur.

Cet ouvrage (avec ses 468 pages) m’a couté cher en termes d’argent. Mon éditeur, L’Harmattan-Italie-France, fait beaucoup de publications mais très peu de promotion de ses livres. Du coup, je n’ai pas encore fait la promo de mon livre, aucune dédicace. Je compte faire une réédition nationale ou africaine sous trois volumes dans un avenir proche. Je remercie spécialement Fatoumata Keita, qui a bien voulu me céder sa place dans deux émissions de débats télévisés pour aider à faire la promo de mon livre sur Africable, et sur l’ORTM. Je remercie le Magazine NYELENI pour m’avoir donné la parole. Je tiens à remercier la présidente Oumou Armand et le Réseau pour la distinction spéciale qui fait de ma modeste personne l’ambassadrice du réseau pour la diaspora. Je remercie tous les membres du réseau. Lorsque les femmes se mettent ensemble, des choses merveilleuses arrivent.

En plus de mon travail de traductrice et de prête-plume, j’apporte également mon aide aux jeunes auteurs en herbes. Polyglotte et sociolinguiste, je   suis  une romancière au style flamboyant, oscillant entre thriller (roman à sensation/suspense) et récit cosmogonique. Dans mon premier roman, fresque éblouissante traversée par une passion amoureuse indomptable, je dresse le profil d’une société tourmentée, et en perte de valeurs.

Histoire d’amour dans un Mali en pleine révolte. Il est question de l’empire de Wagadou qui évolue à partir d’un royaume très ancien, remontant au IIIe siècle avant Jésus-Christ. Cet empire sahélien, bâti par les Soninkés, va acquérir, au fil des siècles, puissance et richesse grâce aux veines aurifères situées sur les territoires qu’il contrôle. Les probes des 777 l’un de leurs clans, en suivent les paraboles ascendantes et les chutes vertigineuses. Dounia, l’héroïne du roman, dont le prénom veut dire le cosmos, la vie, est membre et l’élue. Sept siècles après les persécutions subies par la fratrie sous l’empire du souverain mandingue Kankou Moussa, elle devra lui rendre la gloire et l’influence d’autrefois…Pendant l’irruption dans la trame romanesque, de la violence djihadiste qui s’abat sur le nord du pays et menace de déferler à Bamako.

Koulouba la colline du pouvoir est l’œuvre qui réunit trois romans en un seul ; d’où les 468 pages que constitue le livre. À la fois, cosmogonique, historique, politique et actuel, le livre est aussi un merveilleux récit (de quête, conquête, complots politico-sociaux des grands empires du Mali de Kankou Moussa à l’avènement de la démocratie) qui fait voyager le lectorat dans un Mali profond authentique dont la mosaïque ethnique et culturelle constitue une véritable richesse.

NYELENI Magazine : Donnez-nous un peu de détails sur votre passage l’ambassade du Mali en Italie et aux Nations Unies?

Habi Bamba: Une ambassade est constituée de plusieurs sections qui s’occupent des relations bilatérales avec le pays hôte, multilatérales, avec les agences onusiennes, etc. Quant au Service consulaire, il joue le rôle d’interface entre les touristes et l’ambassade, d’une part, et d’autre part, entre la chancellerie et les ressortissants maliens vivant en Italie. C’est la vitrine en quelque sorte. En plus de la délivrance des visas, le service consulaire est le moteur d’une ambassade où tous les papiers administratifs de nos ressortissants sont établis, les employés sont en contact direct avec les immigrés, leurs détresses, et leurs joies. Travailler dans une ambassade est comme travailler avec un monde fait de tout. C’est passionnant. Les challenges sont quotidiens.

Résoudre les problèmes des immigrés avec les bouts de papier qui leur permettent d’avoir un statut digne. Il n’y a pas plus honorable qu’un tel travail. J’ai eu l’immense chance de travailler avec trois ambassadeurs notamment l’ambassadeur feu Ibrahim Bocar Daga dit Samba Daga. C’est lui qui m’a donné ma première chance en me recrutant en 1999. J’étais Chargée des questions culturelles. Nous avions facilité le passage de plusieurs artistes à Rome : feu Ali Farka, Kandia Kouyaté, Malik et Fousseni pour leurs œuvres de photographie, etc.  L’Ambassade du Mali à Rome, a officiellement ouvert ses portes en 2000. À l’époque, nos ressortissants n’étaient pas si nombreux comme aujourd’hui, mais nous étions animés par le même élan:  bien servir nos compatriotes, et faire avancer les projets-pays au sein des agences internationales.

Quelques années plus tard, je me suis retrouvée au Ghana, j’en ai profité pour faire un Certificat en Genre et un Proficiency en anglais à l’Université Lagon. Mon séjour ghanéen m’a permis de renouer avec la communauté malienne dont l’immense majorité est composée de Songhaï et de Dogon. J’avais une mission spéciale avec cette communauté qui consistait à cultiver la culture de l’entente. Quelques projets ont été initiés en ce sens pour des groupements de femmes axés sur la microfinance et l’alphabétisation fonctionnelle. Les Maliens du Ghana forment une communauté soudée, travailleuse et soucieuse du développement de leur pays.

À la fin de ma mission, après les élections du 2e mandat d’ATT, et à la suite du transfert de mon époux au siège de la FAO, me revoilà à Rome en train de reprendre mes consultations avec les ONG et les Agences internationales. Nantie de mon diplôme en anglais et de mon riche séjour dans un pays anglophone, je pouvais assurer des traductions français-anglais/italien et vice versa. À suite au transfert d’Anta Lamine Sow le Chef de Service consulaire de l’époque, je retourne à l’ambassade.

Je profite de l’occasion pour dire merci à l’ambassadeur Gaoussou Drabo ancien ministre de la Communication et ambassadeur du Mali à Rome. À travers qui, j’ai appris à écrire de ma plus belle plume. Il a a vraiment donné de la consistance et de l’énergie à ma plume. J’ai beaucoup appris à ses côtés. L’écriture sous toutes les coutures (de la monographie à l’essai) n’a plus de secrets pour moi. Je remercie maître Rondello Gianfranco consul honoraire du Mali à Padoue (Padova) qui m’a invitée pour parler de mon livre lors d’un gala de charité de Mario président du projet Dogon (Progetto Dogon) et Maestro Beviacqua. Ce sont des personnes qui ont constitué d’échelle pour mon ascension en matière d’écriture.  Un grand merci à mon époux Madhy Bamba, à qui je dis bravo, pour n’avoir pas disjoncté durant les longues années de travail et de rédaction de livres.

NYELENI Magazine : Parlez-nous de votre travail avec les Avec les migrants

Habi Bamba : À l’entame de nos échanges, je disais que la migration est l’un de sujets que je traite dans mes livres. Très souvent, le thème est nourri des vécus des immigrés : leurs expériences migratoires, les souffrances endurées lors des traversées des déserts ou des eaux profondes de l’Atlantique, et leurs joies de vivre dans un pays occidental, d’y travailler et d’aider leurs familles restées au Mali. C’est à travers leurs propres vécus que j’ai réalisé la profondeur de l’aventure migratoire. C’est aussi à l’ambassade, j’ai réalisé que le Mali est un pays d’émigration par excellence et les émigrés se situent à tous les niveaux de la couche sociale. De l’analphabète sorti droit de Diabaly aux professeurs d’université de Bamako. Ils sont tous à la recherche d’un lendemain meilleur, et de la terre promise.

Je me rappelle encore mes échanges avec feu professeur Salle, l’une des figures de proue de l’immigration malienne en Italie. Il me disait que l’émigration constitue une tradition au Mali. Émigrer est un code d’honneur, un pèlerinage que tout jeune digne de sa lignée se doit de l’accomplir, mais surtout de le réussir, au moins une fois dans sa vie. En adressant dithyrambe et canzonette à la gloire de l’émigration, nos jeunes vivent et grandissent dans un environnement, où l’exode constitue le baromètre selon lequel se mesure l’esprit combatif d’un homme…

Mais chaque fois qu’il eut des  drames imputés à cette pratique, je me dis qu’il est temps d’arrêter ou de contenir  l’hémorragie migratoire. Notre jeunesse se meurt pendant ces voyages migratoires. Elle se suicide par dizaine de milliers dans les eaux profondes et glaciales de l’Atlantique. Je mesure mes mots. Il s’agit de  suicide pour ceux qui, sachant bien les dangers des traversées des océans et des déserts, se jettent tout de même dans l’aventure. D’ailleurs, ils finissent parfois leurs périples dans les ventres des poissons de mer, ou dans ceux des vautours du désert. Certes, les périlleuses aventures des jeunes ne sont guère étrangères aux impérities des gouvernements à instaurer des climats politiques idoines à la création d’entreprises et le maintien des jeunes dans leurs villages. Nous savons cependant que les frais qu’ils engloutissent dans ces périples, souvent inachevés au risque de leur vie, peuvent leur servir à entreprendre une activité lucrative, in situ. Cela nous ramène à la question d’assainissement du système, des conditions de création d’entreprises, d’investissement, de bonne gouvernance et de la démocratie. Par voie de conséquence, la question de la propriété privée et de droit, la problématique de création d’emploi, que nous évoquions, etc., me rappelait le professeur Sall.

On me dira que les jeunes ont besoin de ce voyage que  je qualifie d’aventure ou de suicide massif. Et que nos jeunes ne restent absolument pas à l’extérieur, ils reviennent tous réinvestir des capitaux au pays. Je sais que le mouvement migratoire est universel, et qu’aucune loi ne pourra l’arrêter.

NYELENI Magazine : L’écriture féminine peut-elle servir à briser le silence sur un certain nombre de tabous et d’oppressions sur le genre?

Habi Bamba: oui, elle sert à dénoncer, à attirer l’attention sur les travers., etc.  J’ai la conviction que l’écriture « féminine » a évolué, et que l’autonomie acquise à travers l’éducation a contribué à améliorer le sort de la femme, et à s’affranchir des liens astreignants sa liberté de s’affirmer en tant qu’individu. D’ailleurs, la créativité aide en cela. Quel que soit l’environnement, une femme qui crée est mentalement plus affranchie des pesanteurs sociales. La créativité est une arme contre la domination. Il suffit de prêter attention aux combats des femmes d’aujourd’hui pour comprendre cela.

Oui, en Afrique francophone, l’écriture féminine schématisée en trois phases est d’abord une écriture dite « miroir » ou autobiographique, puis s’en est suivie « l’écriture domestique » qui est contestataire et qui remet en question la place de la femme au sein de la famille. Cette écriture se veut émancipatrice des rôles assignés à la femme. En dernier lieu, il y a l’écriture « sociétale », une écriture critique de la société, la gouvernance, etc. Les romancières maliennes ont une écriture qui brise le silence sur les tabous et les violences basées sur le Genre. Elles dénoncent les conditions inacceptables de la femme, les maltraitances, les pratiques discriminatoires qui bafouent la dignité de la femme. Sous Fer de Fatoumata Keita, Ah Nos maris ces illustres inconnus de Safiatou Ba Dicko, Koulouba la colline du pouvoir de Habi Bamba, Mémoire du temps d’Oumou Armand Sangaré Diarra, etc. pour ne citer que nos contemporaines.

Cependant, il faut retenir que le milieu littéraire est un champ de bataille permanent et celui de l’édition se montre beaucoup plus antiféministe et antiféminisme que la haute cour royale et la haute administration. C’est pour cela, les maisons d’édition détenues par nos consœurs présentent un espoir immense et une arme pour bien mener ce combat de diffusion et de distribution des travaux des plumes féminines. Nous avons la chance d’en avoir quelques-unes chez nous notamment les éditions Cauris, les éditions Figuira, et les éditions Gafé, que je salue chaleureusement.

Toute fois, la transposition mécanique du concept d’écriture féminine, originaire de l’Occident, a une connotation négative chez nous parce qu’elle s’accorde mal avec nos réalités in situ. Malmenée la plupart du temps, l’écriture dite féminine est souvent associée au sentimentalisme saugrenu. La situation de la femme qui écrit est parfois sibylline. C’est toute cette négativité qu’il nous revient de corriger avec nos plumes de femmes. Tu sais Mouna, nous avons plus de trois mille ans de littérature, modelée dans ses formes et ses thèmes par les hommes. Nous sommes conditionnés par la plume du mâle. Ses récits sont gravés dans les subconscients, même s’il est vrai que c’est une femme qui est auteure du tout premier roman de l’histoire : « The tale of Genji » qui raconte l’histoire d’un prince en quête d’amour et de sagesse écrit par la Japonaise Murasaki Shikibu en l’an 1007. Et que l’auteur qui détient le record du nombre de romans écrits est aussi une femme : Dame Barbara Cartland (1901 – 2000) romancière best-seller de tous les temps plus de 723 romans publiés et plus de 1 milliard d’exemplaires.

NYELENI Magazine : Avez-vous un message pour la jeune génération ?

 Habi Bamba : Mon message à transmettre à la jeunesse est : l’éducation, l’éducation, l’éducation!  La résilience, et l’audace d’entreprendre une activité génératrice de revenus. Je fini avec la belle citation de notre ainé le regretté Albakaye Ousmane KOUNTA « Expliquer aux jeunes comment écouter les bruits sourds du désert muet ». Couleurs et douleurs du silence. P.129. Il faut de la patience, de la persévérance et beaucoup d’efforts pour y parvenir.

 Propos recueillis par Maïmouna TRAORÉ

NB : Nous reviendrons dans un autre entretien avec Habi Bamba sur le statut de la malienne et l’immigration féminine.

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