Le siège de WILDAF Mali à Daoudabougou, a servi de cadre ce 3 juin 2025, à un débat citoyen organisé par l’ONG AZHAR, en Partenariat avec ONU Femmes. Cette rencontre a réuni les femmes, les jeunes, les leaders politiques communautaires, religieuses syndicales de la société civile, les représentantes des partis politiques, des institutions étatiques, et des collectivités, les jeunes engagées dans la gouvernance citoyenne, les médias, partenaires techniques et financiers ONG et chercheurs.
Le thème de la rencontre était participation des femmes aux processus de paix au Mali, dans le cadre du projet leadership des organisations féminines pour la paix et la sécurité au sahel de l’ONG AZHAR . Pour la chargée de projet Rokia Doumbia, le projet intitulé « renforcement des capacités des organisations féminines et création d’un mouvement fort des femmes pour la paix au sahel ». Ces débats citoyens visent globalement à aborder des sujets d’intérêt général, en vue d’encourager la participation saine au débat politique et social, renforcer la culture politique des femmes et des jeunes, prévenir la violence, sensibiliser à la tolérance, la gestion pacifique des conflits et contribuer à la scolarisation de la paix et à la cohésion sociale », a expliqué Rokia Doumbia.
Le rôle et la contributions des femmes dans le processus de la paix
Mme Mama Koité, présidente de la plateforme des femmes leaders du Mali, a souligné qu’il y avait des guerres conventionnelles entre les États, mais de plus en plus les conflits ont changé de nature, nous avons maintenant des conflits internes dus à beaucoup de facteurs. Au Mali, il y a eu beaucoup des rebellions au Nord, mais celle de 2012, se propage un peu partout, et elle a changé de nature, ce qu’on avait jamais vu au Mali. Cette rébellion s’est faite sur le corps de la femme. Les femmes ont été violées, lapidées, humiliées et devenues des déplacées internes.
Pour elle, « c’est face à cette situation que les femmes de Bamako se sont dit, qu’est ce qui se passe ? c’est la première fois qu’on voit la rébellion atteindre un tel niveau aussi grave, sur les femmes et les filles. C’est dans cette situation, que les femmes se sont rencontrées à la Maison de la femme sur la rive droite de Bamako, ensuite elles ont fait un setting au Monument de l’Indépendance, ainsi de suite. Dès ce jour nous avons décidé de ne plus rester les bras croisés face la situation que vivent nos sœurs du Nord », a relaté Mama Koité.
Les participantes de la dernière minute aux négociations de Ouaga
« Après le Coup d’État, lors d’une formation avec ONU Femmes sur la négociation, on nous informe en salle que les gens sont en partance pour Ouagadougou, une personnalité nous demande dans la salle « si nous sommes au courant de cette invitation de Blaise Compaoré, qu’une délégation est partie pour négocier la paix. » Des femmes étaient dans ladite délégation mais, selon Mama Koité elles ne représentaient pas toutes les femmes du Mali.
De la réunion, les participantes ont demandé à ONU Femmes, de leur trouver des billets, explique Mme Koité « ils nous ont trouvé cinq billets, j’étais la dernière passagère à entrer dans l’avion. », sans prise en charge. Mama raconte :« Le matin, on s’est rendue au lieu de la rencontre sans badge, les militaires nous regardaient avec méfiance. En salle, chaque fois qu’on veut s’assoir, on nous dit que c’est occupé. Finalement, on s’est retrouve devant les toilettes avec 4 chaises. Quand Blaise a donné la parole, on l’a cherché, il nous a posé la question pour savoir qui nous étions ? Nous avons répondu que nous sommes les femmes du Mali, tellement on a insisté, il a pris une feuille et a écrit « Les femmes du Mali ». Nous avons rédigé notre déclaration dans la salle. Quand Blaise nous a donné la parole, on a anéanti tous ce qui a été dit en salle. A midi, on nous a trouvé des badges et des chaises. Mais ce jour-là, en tant que femmes du Mali, on a eu honte, tout le secret du Mali a été déballé là-bas, dans un pays voisin. Certains ont failli se frapper, c’est nous qui les séparaient, tellement on a eu honte, on a même pas mangé. Au moment de signer la déclaration de Ouaga, ils nous ont dit non, et on leurs a dit, dans ce cas, aucun avion n’atterrira à Bamako, avec ces gens, toutes les femmes de la CAFO ont été alertées de prendre en otage l’aéroport », a expliqué Mama Koité. Et a reconnu qu’a Ouaga 2, toutes les conditions étaient réunies pour la participation des femmes du Mali.
L’Accord d’Alger pour la paix…
En ce qui concerne Alger, explique Mme Mama Koité, nous n’avons pas été invitées, cinquante (50 ) hommes pour une (1)femme. On a tapé à toutes les portes, finalement, le ministre de la réconciliation, nous a demandé si nous sommes formées en négociation, immédiatement, il a organisé un test pour 12. il a pris 4 femmes avec la coopération suisse, puisqu’il n’ a pas pu mettre nos noms sur la liste. En arrivant là-bas, la négociation a été bloquée. C’est notre sœur de Kidal qui est allée taper à la porte de son frère, qui s’est réfugié dans sa chambre d’hôtel, en lui disant « si tu es homme, descendant de tel et telle, sort et va à la table de négociation. Le monsieur est sorti à 3h du matin, et a posé la question, c’est qui ? Et le lendemain matin les négociations ont repris. Quand nous avons fait ce récit à feu IBK, il a pleuré en disant que personne ne lui avait dit ça. »
Des actes forts posés, mais invisibles
Nous avons posés des actes non visibles, continue Mme Mama : beaucoup de renforcements de capacités, des missions de terrains, en Côte d’Ivoire, pour apprendre de l’expérience des autres, d’autres sont venues nous donner leurs expériences, telles que les burundaises. « Nous avons posées des actes courageux, et nous voulons que la nouvelle génération nous imite. Lorsqu’on a mis l’embargo sur le Mali, quand la CEDEAO est arrivée, ils n’ont invité aucune femme, on a posé le problème, ils ont dit de venir très tôt, pour la rencontre, c’était Nana Sissako qui est venue au nom de la société civile, ils ont fait exprès pour qu’on ne participe pas, parce qu’ ils savaient de quoi on était capable. »
Autre fait, « Une fois, la CEDEAO nous a invité, et elle était venue donner un agenda au Mali, et ce jour le président de la Commission a dit que si on ne respecte pas cet agenda, nous allons ramasser les conséquences de l’embargo, et une femme s’est levée dans la salle, pour dire, « Monsieur, le président tournez-vous ! Voyez-vous le fleuve Djoliba ? Alors, on va boire de l’eau et manger les herbes, fermer toutes les frontières. » Et elle a tapé sur la table, tout le monde a tremblé même moi. »
Ce jour-là, dit-elle, on nous a enfermé dans une pièce, dans le seul but qu’on ne puisse pas parler aux journalistes, de ce qui s’était passé dans la salle. Ce sont des leçons de vie. Si nous sommes en conflit, il y a des défis qu’il faut relever. Lorsque la CEDEAO a fermé les frontières, on s’est déplacé pour le Sénégal, avec l’objectif d’aller voir le président. Les sœurs sénégalaises nous ont reçu, la salle réservée a refusé du monde. Toute la presse sénégalaise était là pour nous apporter leur solidarité. Quand le président a été informé de notre présence, et il a accepté de nous recevoir après quelques formalités que nous avons rempli, on lui a apporté notre document de plaidoyer. C’est ce plaidoyer qu’il a apporté à la rencontre de la CEDEAO en leur disant, ce sont les femmes du Mali, qui ont fait ces revendications, en se déplaçant au Sénégal. Et c’est grâce à ce plaidoyer qu’on a levé l’embargo le même jour, on ne peut pas tout dire », a conclu la conférencière Mama Koité.
Les facteurs qui empêchent la pleine participation des femmes
Pour Mme Nana Alassane Touré, présidente de l’ONG SACOS (Sahélien, pour la justice, la gouvernance, la paix et la sécurité, coordinatrice de l’Alliance pour la réforme de la sécurité au Mali, Doctorante en sociologie, « il y’a des facteurs qui font que le Mali est pluriel, les réalités ne sont pas forcément les mêmes. De manière générale, je me base sur le résultat de nos travaux de recherche. La femme est en marge de tous ce qui est processus de paix, tout ce qui est décisionnelle, que ça soit sur le plan politique et sécuritaire. Malgré ce constat, elles ont entrepris beaucoup d’actions de renforcement de capacités, de sensibilisation, de visites d’échanges etc. Pour s’impliquer davantage dans le processus de paix, il y a des mécanismes, des alternatives dans notre pays qui n’impliquent pas les femmes, compte tenu de plusieurs considérations d’abord, les considérations sociales. »
Elle va plus loin, en expliquant en profondeur la division sociale du travail qui donne plus de taches a la femme au niveau de la famille. Et lui octroi très peu de temps pour s’occuper d’autres actions au niveau de sa communauté. « Si elle est faible économiquement, c’est difficile que sa voix porte, on voit dans notre société qu’elles sont actives et nombreuses, mais elles sont beaucoup dans le secteur informel, sur le plan statistique, c’est difficile d’évaluer et de promouvoir la place de la femme dans le secteur économique, tout simplement parce qu’elle évolue dans le secteur informel contrairement au secteur formel. Nous avons un autre facteur qui est la religion, les institutions religieuses qui limitent les droits des femmes, une femme qui veut spontanément participer à un processus de paix a besoin de l’accord de son mari pour partir, alors que, si c’est un homme, tel n’est pas le cas. Tout freine les femmes d’être actives au même titre que les hommes. Nous avons la résolution 1325, qui est très connu, adoptée en octobre 2000, c’est une résolution qui fait la promotion, qui valorise le rôle des femmes, qui fait ressortir les besoins sécuritaires spécifiques des femmes, parce qu’elles n’ont pas les même besoins que les hommes. »
Selon Mme Nana, les femmes, quand on les implique dans un projet, peuvent parler de leurs besoins spécifiques ainsi que, ceux des enfants, même les personnes vivant avec handicap, les personnes âgées. C’est pourquoi il est important de les impliquer. Il y’a l’Agenda femmes, paix et sécurité, qui est l’ensemble des résolutions, parle de l’importance des femmes dans tout ce qui est prévention, gestion de conflits, ainsi que les différentes formes de violences faites aux femmes.
Elle a parlé de certains piliers de l’Agenda 1325, à savoir : La participation des femmes à toutes les étapes du processus de paix et le pilier protection, qui protège les femmes ainsi que leurs droits humanitaire, droit de l’homme et le soutien aux organisations de femmes qui travaillent dans le domaine de la prévention. La participation des femmes aux foras est négligée, on n’implique pas les femmes, elles n’en ont pas assez souvent conscience. Par exemple, si vous invitez une structure à une activité si vous ne précisez pas d’envoyer une femme, c’est sûr, ils vont t’envoyer que des hommes. Il faut beaucoup de travail, de sensibilisation pour faire comprendre le rôle des femmes, et toui ce qu’elles ont subi comme conséquences.
Mama Koité abonde dans le même sens, en disant que la 1325 est à sa troisième génération, mais il n’y a pas de résultats. « Nous qui travaillons sur le terrain, il n y a pas des capitalisations, donc on ne peut pas voir l’impact de la contribution des femmes dans le cadre de la 1325. » Mme Koité a posé la question suivante à la salle, quelles sont les organisations qui envoient leur rapport à la cellule 1325 au Ministère ? « On vient d’évaluer la 1325, les bailleurs de fonds ont reconnu qu’ils n’ont pas mis assez de fonds dedans. Comment on peut mettre en œuvre la résolution alors que les balles tombent encore sur des populations, qui n’ont rien fait, où est ce qu’on ira avec la résolution ? Et a précisé que « Tout ce que nous sommes en train de faire, a besoin de l’accompagnement des hommes, sans eux, on n’ira pas loin. »
Des échanges très fructueux à travers les expériences n’ont pas fait défaut. Mama Koité a parlé d’un puits de la paix fait à Tombouctou, parce qu’il y’a un problème d’eau là-bas. Certaines ont parlé de l’action que les femmes d’une commune de Djenné ont fait pour apporter de la nourriture à leurs sœurs, qui vivaient dans l’embargo des hommes armés à l’époque. Il y a le cas de Niono, les femmes se sont mobilisées une fois, pour aller aider leurs sœurs d’une autre commune, qui vivaient dans des difficultés.
Mady TOUNKARA