AÏCHA DIARRA : ÉCRIVAINE ET FONDATRICE DES ÉDITIONS GAFÉ : « IL N’Y A PAS UN PAYS AU MONDE QUI A PU SE DÉVELOPPER SANS S’INVESTIR DANS L’ÉDUCATION »

Née en 1994  à Bamako, Aicha Diarra est l’une des plus jeunes écrivaines du Mali. Elle vient de gagner le prestigieux Prix de la poésie « David Diop » à Dakar (Sénégal) pour mon livre intitulé « De la poésie à la prophétie » (2020). En plus de l’écriture, elle est la fondatrice des Éditions Gafé. Aïcha Diarra est très active dans différentes associations. Elle est aussi une footballeuse, en 2008, avec son équipe de Bamako, elles remportent en Norvège, la Coupe du monde des moins de 14 ans. Membre du Réseau des femmes écrivains du Mali et de la diaspora (RFEMD), elle occupe au sein du bureau, le poste de Secrétaire général.

NYELENI Magazine : Vous avez été la plus jeune écrivaine à 17 ans et déjà éditrice, quel est votre secret ?

Aïcha Diarra : Je ne pense pas qu’il y ait un secret. Comme toute vocation, quand on y croit et qu’on s’y met, il y a de fortes chances qu’on atteigne nos objectifs. Prendre la plume, beaucoup l’expriment par la passion, ce n’est pas le cas pour moi, même si je reconnais que la passion est venue après ; pour moi, c’était plutôt une thérapie ou une médication, au regard de nombreuses situations j’ai vécues, vues et sues très jeune, écrire signifiait se soigner. S’auto-soigner malgré l’âge, Je me suis découverte un talent littéraire que les autres trouvaient de qualité, talent que j’ai ensuite utilisé pour faire entendre la voix de ma société à travers mes productions ; et surtout interroger cette société sur ces forces et faiblesses, sur les conditions de vie, l’injustice etc. Ensuite, que je devienne éditrice, est tout un parcours, un cheminement qui n’était pas du tout prévu dans mes objectifs, mais est venu la nécessité que je m’y lance grâce à mon instinct entrepreneurial mais aussi et surtout du constat d’un vide que je souhaite combler. Le secteur de l’édition au Mali est un terrain vaste qui mérite d’être exploité afin d’en extraire l’énorme potentiel en termes de production et de diversité de contenu. Les auteurs sont malheureusement très souvent confrontés à plusieurs obstacles : Coût élevé de l’édition ; manque d’accompagnement de leur projet de publication ; nombre réduit de maison d’édition etc.

A travers ma maison ‘’Éditions Gafé’’, je souhaite donner une nouvelle dynamique au secteur de l’édition au Mali en termes de qualité, de créativité et d’innovation. Mon objectif est aussi d’œuvrer particulièrement pour promouvoir les talents des jeunes auteurs, des femmes ainsi des langues nationales.

NYELENI Magazine : Qu’est-ce qui vous inspire ?

Aïcha Diarra : Tout m’inspire, à commencer par moi-même. Je trouve que l’humain en soit est une source d’inspiration suffisante, car en lui, et autour de lui, tout se déroule, tout tourne, la terre, le soleil, la nature, la société, il est le point central de l’univers.

NYELENI Magazine : En 2012, vous avez publié « Les Larmes de la Tombe » avec la Sahélienne/ L’Harmattan, « La laïcité expliquée aux jeunes » dans la même maison d’édition et les marabouts se sont trompés. De quoi ces deux ouvrages ?

Aïcha Diarra : Pour résumer, Les larmes de la tombe comme indique son nom, est assez funeste comme titre, il ne décrit pas une situation douloureuse, mais il le met en scène. C’est un recueil de poésie qui parle aussi de corruption, d’injustice, base de tous les maux.

La Laïcité expliquée aux enfants, est un livre jeunesse, initiant les enfants aux valeurs citoyennes que sont la démocratie, la laïcité, la paix …

Quant aux Marabouts se sont trompés, Il faut d’abord noter que les ‘’ Marabouts’’ constituent une croyance très solide dans la société malienne. Dans leur rôle originel, leur apport en termes de construction et d’accompagnement de la population constitue un bras très solide qui fortifie la société. L’immense majorité de la population consulte les marabouts, riches et pauvres.  Cette croyance a pourtant fait ces preuves au fil du temps et elle se base sur la diversité de leurs connaissances mystiques qui portent sur la médecine traditionnelle, la voyance, l’accompagnement psychologique etc. En ces temps, il n’était presque pas question d’argent. Pendant des siècles les marabouts ont accompagné la société notamment à travers l’encadrement des groupes d’enfants qu’ils forment non seulement au précepte du Coran mais également à devenir des personnes vertueuses et exemplaires.

De nos jours ce rôle a dévié de son sens originel et nous assistons à une explosion d’autres catégories de marabouts ‘’ charlatans’’ de toute sorte qui prétendent tout connaitre de tout et qui pouvoir guérir toutes sortes maladies et réaliser n’importe quels vœux. Motivée par la soif de l’argent, ils sont plutôt des vendeurs d’illusions qui profitent de la détresse de leurs clients (es) pour leur soutirer le plus de sous possibles. Pour cela, en grand psychologue, ils sèment dans leur tête des frustrations qui leur mettent en conflit avec leur proche selon la description faite par le ‘’ marabout ‘’ (teint clair, de grande taille). etc.

 NYELENI Magazine : Parlez-nous de ce livre qui vous a fait gagner le Prix « David Diop » ?

Aïcha Diarra : D’abord un honneur pour moi que ce Prix porte le nom d’un grand écrivain que j’ai eu l’occasion d’étudier à l’école, et qui surtout a marqué son temps et qui continue de le marquer. L’Ouvrage en question s’intitule de la ‘’poésie à la prophétie’’ J’aborde dans une prose poétique des sujets cruciaux sur les plans sociaux-politique ; tout en réinterrogeant la poésie sur sa vocation, non dans le sens connu et qui le plus utilisé : ‘’ l’étalement des mots attrayants’’ qui a tendance à exagérer et s’écarter de la réalité ; mais plutôt dans un sens que je veux lui inventer : La poésie philosophique. Un style qui à mon avis, est rationnel, innovant et qui revisite l’humain dans sa sagesse ou dans ses délires.

NYELENI Magazine : Quel est le sens de ton combat actuellement comme écrivaine, éditrice, et militante d’association à la fois ?

Aïcha Diarra : Le sens de mon combat !  Depuis toute petite je me suis projetée sur plusieurs fronts à la fois, à savoir : la justice et l’équité sociale, la bonne gouvernance, la citoyenneté ainsi que l’émancipation de la Femme.

C’est pour répondre à ce besoin, que j’ai créé avec d’autres jeunes l’Association Voix du Mali afin de promouvoir l’Éducation et la Culture mais aussi de lutter contre les violations des Droits de l’Homme et la discrimination. C’est dans ce cadre qu’en 2018, suite à l’assassinat d’une fillette albinos pour des raisons rituelles, j’ai lancé un appel à ouvrage collectif de lutte contre les discriminations et les violations des Droits de l’Homme. L’ouvrage en question a vu la participation d’une centaine de personnes d’environ 15 nationalités.

Aujourd’hui en tant que jeune entrepreneure culturelle, je travaille pour la promotion et la mise en œuvre des aspirations profondes de la jeunesse à plus de liberté, de justice, d’équité sociale et surtout d’emplois. Ces idéaux nobles trouvent leur expression dans les activités d’édition d’ouvrages, dans la vie associative et dans les différentes formes de combats pour l’émancipation de la jeunesse en général et de la femme en particulier.

NYELENI Magazine : Pouvez-vous, nous parler des problèmes que rencontrent les éditeurs au Mali ?

Aïcha Diarra : Diverses difficultés s’articulent autour du monde du livre au Mali. Cela est mieux illustrer dans l’étude sur le Secteur du Livre au Mali, menée par l’organisation malienne des Editeurs de Livre, qui souligne une crise persistante qui frappe de plein fouet l’industrie du livre et d’autre part l’inexistence d’une politique du livre. Ces facteurs sont aggravés par l’absence de réseaux de distribution et de véritables entreprises de librairie, l’inexistence d’un réseau étendu de bibliothèques à l’école et dans la communauté, le déficit de la culture de la lecture, le prix du livre élevé par rapport au faible pouvoir d’achat des ménages.

Malgré les luttes des acteurs du livre, il est Important de noter que le Mali ne dispose toujours pas d’un fond d’aide au Livre contrairement à beaucoup de pays comme par exemple le Sénégal qui est tout prêt.  Personnellement, les difficultés que je rencontre sont les mêmes citées ci-dessus, mais il est à préciser qu’être jeune éditeur est un défis à part, car on a besoin de temps pour accumuler les expériences qui varient selon les sujets, les auteurs et même le contexte du pays qui ne favorisent pas un environnement éditorial adéquat.

NYELENI Magazine : votre mot de la fin ?

Aïcha Diarra : Je me considère comme étant toujours en apprentissage, je suis reconnaissante envers tous ceux qui m’ont inspiré et soutenu, à savoir Ismaïla Samba Traoré, Directeur des Éditions la Sahélienne, ainsi que mes parents.

Je remercie NYELENI Magazine pour cette occasion et salue sa détermination à promouvoir les actions des femmes battantes qui évoluent dans divers domaines. J’invite nos autorités à être une source d’inspiration, qui sait reconnaitre le caractère sacré d’un livre. Il n’y a pas un pays au monde qui a pu se développer sans s’investir et investir dans l’éducation. Il n’y a pas d’éducation sans un support pédagogique (livre) sur lequel un instituteur se réfère pour enseigner tel ou tel domaine.

Propos recueillis par Maïmouna TRAORÉ

 

 

 

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