SANTE DE LA REPRODUCTION

PROFESSEUR LAMINE BOUBAKAR TRAORE, ANTHROPOLOGUE

«Chaque pays africain possède ses valeurs et pratiques culturelles qu’il faut valoriser et les mettre au service de nos programmes de santé reproductive»

Lors de la session des Premières Dames, le thème « Les pratiques traditionnelles et culturelles positives au service de la promotion de la Santé de la Reproduction», a été présenté par un jeune anthropologue malien, Pr. Lamine Boubakar Traoré. Un brillant exposé qui a beaucoup retenu l’attention des illustres panélistes ainsi que de la prestigieuse assistance. Il a répondu à quelques questions sur sa présentation.

Propos recueillis par Moussa BOLLy

NYELENI Magazine: Quelle est votre définition des services de santé de la reproduction ?

Pr. Lamine Boubakar Traoré : Les services de santé de la reproduction comprennent l’ensemble des méthodes, techniques et services qui contribuent à la santé et au bien être en matière de procréation, par la prévention et la résolution des problèmes pouvant se poser dans ce domaine. Ceci inclut aussi les soins liés à la santé sexuelle qui ne doivent pas se limiter aux conseils ; les soins relatifs à la procréation et aux Infections Sexuellement Transmissibles, mais aussi l’amélioration de la qualité de vie et des relations interpersonnelles.

NYELENI Magazine: En tant qu’Anthropologue, quelle est la perception africaine de la sexualité ?

Pr. Lamine Boubakar Traoré : Dans la plupart des sociétés africaines, la sexualité et tout ce qui s’y rattache est considérée comme un tabou dont on ne parle pas en public et parfois même au sein du couple. Il en découle la perception négative aujourd’hui que parler de la sexualité c’est faire une incitation au libertinage sexuel et dépraver les valeurs culturelles. D’où la méconnaissance, par une partie importante des adolescents et des jeunes, des questions de santé de la reproduction comme par exemple les risques liés à une sexualité précoce, les moyens de prévention contre les grossesses non désirées, les Infections Sexuellement Transmissibles, le VIH/Sida… Cette perception impacte négativement sur les principaux indicateurs en matière de Santé de la Reproduction, particulièrement ceux des adolescents et des jeunes. Selon des données disponibles en Afrique subsaharienne, 3,3 millions d’adolescentes de 15 à 19 ans n’ont pas accès à la contraception moderne dont elles auraient besoin. La contribution moyenne des adolescentes au taux de fécondité générale des femmes est d’environ 12 % et se situe autour de 10,8 ‰ en 2013.

NYELENI Magazine: En matière de santé de la reproduction (SR), quels sont les défis auxquels l’Afrique doit faire face?

Pr. Lamine Boubakar Traoré : Le Défi, c’est l’accès aux services de santé. C’est un défi pour plus de 60% des jeunes et des adolescents de la majorité des pays africains. En effet, divers obstacles comme la disponibilité financière, la distance au service de santé, la permission d’aller se faire soigner et la disponibilité des soins entre autres se conjuguent pour rendre cet accès difficile. On peut donc conclure sur la base de ces quelques indicateurs que la question de la Santé de la Reproduction est en elle-même un réel défi dans nos pays. Si l’entrée en vie féconde se fait très tôt, le mariage précoce est élevé, la planification familiale est peu utilisée et l’accès aux services de santé est faible. Il en résultera une forte fécondité, un niveau élevé de mortalité maternelle et néo-natale, de maladies sexuellement transmissibles y compris le VIH et une forte déscolarisation des adolescentes et des jeunes dans nos pays. Parmi les défis majeurs avancés par les professionnels de la santé pour expliquer cette situation, il y a les obstacles traditionnels et culturels souvent dénommés «contraintes socioculturelles», «barrières traditionnelles»… Ainsi donc, la culture et la tradition sont perçues comme des freins à la performance de nos services socio-sanitaires en matière de santé de la reproduction.

NYELENI Magazine : Quelle est la relation entre les notions de culture ou de tradition et la santé de la reproduction des adolescents et des jeunes?

Pr. Lamine Boubakar Traoré : A l’examen de nos pratiques traditionnelles et culturelles, l’on se rend compte que non seulement les aspects liés à la santé de la reproduction sont pris en compte, mais également ont fait l’objet et continuent de faire l’objet de pratique et d’observance. En Afrique, chaque communauté possède un ensemble de connaissances sur la santé de la reproduction qui est constamment enrichi et remis en question par l’expérience ou les interactions avec des apports exogènes. Ce qui entraine des comportements tendant à optimiser la survie et le bien être des membres de la communauté. La culture et la tradition sont des apports plus «perméables» culturellement à nos sociétés.

NYELENI Magazine : Quel avantage peut-on tirer de l’implication des communautés dans la vulgarisation et la promotion de la santé de la reproduction?

Pr. Lamine Boubakar Traoré : Les efforts en matière de santé de la reproduction lorsqu’ils sont déployés dans le cadre du respect de la tradition, peuvent unir la communauté pour renforcer les bonnes pratiques qui sont directement bénéfiques à leurs membres et en même temps, remettre en question celles qui altèrent la santé sexuelle et de reproduction. Dès lors, il nous parait donc important de questionner nos traditions et cultures afin de trouver les réponses permettant de booster les différentes composantes de la Santé de la Reproduction. Chacun de nos pays possède ses valeurs et pratiques culturelles et il nous appartient donc de les identifier, les valoriser et les mettre au service de nos programmes de santé reproductive. Dans cette perspective, Cantrelle et Lacoh avancent par exemple que «la longue durée de l’allaitement et l’intérêt de l’espacement des naissances est un exemple de coutumes adaptées au contexte des sociétés traditionnelles et favorisées par un ensemble de normes qui sont très généralement partagées en Afrique de l’Ouest». D’autres exemples de pratiques culturelles traditionnelles non exhaustives du Congo, du Mali et du Niger permettent de voir l’immensité des richesses des pays africains dans le domaine de la santé de la reproduction adaptables aux besoins d’aujourd’hui…

NYELENI Magazine : Quel appel lancez-vous aujourd’hui aux dirigeants africains et à leurs Partenaires techniques et financiers?

Pr. Lamine Boubakar Traoré : La culture et la tradition sont au début et à la fin de toute action humaine. Si les éléments en lien avec la santé de la reproduction des adolescents et des jeunes sont pris en compte et documentés, leur apport pour l’observance des bonnes pratiques et le rejet des comportements à risque sera capital dans nos pays. Aussi, les actions de renforcement des capacités à tous les niveaux doivent intégrer des aspects relatifs à la dimension genre, diversité et tenir compte également des variables socioculturelles depuis la conception jusqu’à l’exécution et le suivi-évaluation des programmes de santé de la reproduction. Les pouvoirs publics ; partenaires au développement et les autres acteurs sociaux devraient prendre à bras le corps les recherches dans le domaine de la culture et des traditions et explorer les champs vastes et fertiles qu’ils ouvrent pour booster la problématique combien importante de la SR des adolescents et des jeunes. Cette nécessité a amené les chercheurs Cantrelle et Lacoh à conclure que « L’amélioration de la santé et la baisse de la mortalité, pour une grande partie des pays en développement, et en particulier l’ouest africain qui présente des niveaux de mortalité parmi les plus élevés du monde, dépend moins de nouvelles découvertes de nature médicale, que de l’application des connaissances déjà acquises.» Parmi ces connaissances, le savoir local et traditionnel tient un rôle important. Les jeunes constituent plus de la moitié des populations sur le continent africain. Ils sont non seulement un atout, mais également peuvent constituer une bombe à retardement. Leur inclusion ou exclusion déterminera l’avenir de nos pays en termes de développement, de sécurité et de stabilité.

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