Oumou Ahmar Traoré est l’une des journalistes de la presse privée des années 90, Rédactrice en chef du journal des jeunes « Grin-Grin »de la Coopérative Culturelle d’édition et de diffusion Jamana, elle est actuellement, consultante en genre du Projet des Services d’Appui sur le Terrain (PSAT) auprès du Ministère de Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille , où elle a été membre du Cabinet de 2005 à 2010. Oumou Ahmar est active dans plusieurs associations, dont l’association pour le reboisement au Ouagadou ( région de Nara ) et le Réseau des Femmes écrivains du Mali (RFEMD). Autrice de plusieurs ouvrages, nous l’avons rencontrée pour vous.
NYELENI Magazine : Qui est Oumou Ahmar Traoré ?
Oumou Ahmar Traoré : Je suis écrivaine malienne. J’ai fait mes études primaires et secondaires au Mali, mes études universitaires, post- universitaires à Alger, Paris et Berlin. Après avoir travaillé au premier journal indépendant du Mali à savoir les Echos et au magazine des jeunes Grin –Grin de la Coopérative culturelle d’édition et de diffusion Jamana , j’ai été correspondante en France du magazine culturel féminin malien Faro ou la Reine des eaux . j’ai aussi contribué à différents ouvrages collectifs et milité à l’étranger ( Espagne et Belgique ) au sein d’associations culturelles ou d’aide aux migrantes. Actuellement, consultante au compte du Projet des Services d’Appui sur le Terrain ( PSAT) que soutient le Canada, j’appui le Ministère de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille sur les questions de genre. Politiquement neutre et environnementalement engagée, je me définie comme une défenseure des droits des plus vulnérables en général et une militante des droits de la femme en particulier .Originaire du Sahel exposé à une sécheresse récurrente et actuellement au jihadisme, je m’investis dans la protection de l’environnement et dans la médiation intracommunautaire .
NYELENI Magazine : Journaliste et écrivaine, y a t-il vraiment une grande différence ?
Oumou Ahmar Traoré : il y a plusieurs types de journaliste, celui ou celle qui nous intéresse ici ; c’est le journaliste de la presse écrite. Il peut être éditorialiste, reporter ou analyste. Il produit des éditoriaux, des dossiers ou des articles de presse contrairement à l’écrivain qui publie des livres. Un journaliste peut -être écrivain mais, tout écrivain n’est pas journaliste. Les journalistes sont aujourd’hui, pour la plupart diplômés de grandes écoles de journalisme ou des personnes ayant acquis de solides expériences sur le terrain. Jusqu’à présent, il n’existe, à ma connaissance, aucune école au monde d’où sortent les écrivains. Il n’y a pas de diplôme d’écrivain. Toutefois, les écrivains peuvent bénéficier de stages de renforcement de capacités, participer à des ateliers d’écriture et autres. Le point commun entre écrivain et journaliste de la presse écrite reste bien évidemment la plume, l’amour des mots, le désir de servir.
NYELENI Magazine : Qu’est-ce qui vous inspire ?
Oumou Ahmar Traoré : beaucoup de choses telles le quotidien, l’actualité, les us et coutumes, le vécu et le ressenti ; les expériences de vie des autres.
NYELENI Magazine : Quels sont vos ouvrages déjà publiés et quels sont les différents thèmes ?
Oumou Ahmar Traoré : les Blessures de l’Art, culture malienne et violences basées sur le genre. L’essai en français et bambara publié en 2022 aux éditions Asselar à Bamako, établit la corrélation entre certains messages et images déplorables véhiculés par l’Art à l’encontre des femmes, des filles et quelques fois des hommes, les difficiles rapports entre femme et homme, les brimades, les viols et le féminicide aujourd’hui en plein essor au Mali. Il s’agit notamment du théâtre et du cinéma, des sketchs et des contes, des chansons et récits, des proverbes et adages, des articles et dessins de presse.
Une femme presque parfaite, est un roman qui traite du quotidien, de la vie familiale et socio-professionnelle de la femme dans un milieu conservateur écartelé entre les traditions et l’extrémisme religieux. Quant à mon premier roman, Mamou, épouse et mère d’Emigrés, il a été publié en 2007 aux éditions Asselar . Il éclaire sur l’impact de la migration sur les femmes; plus précisément les épouses et les mères de migrants, leur solitude, leurs peurs et leurs attentes. Les trois ouvrages mettent en avant les femmes et les jeunes filles et aussi dans une moindre mesure la situation de l’homme et du garçon. Les deux genres sont présents dans les trois publications.
NYELENI Magazine : Quel objectif voulez-vous atteindre à travers l’écriture ?
Oumou Ahmar Traoré : informer, militer, rêver d’impulser le changement, être au service de ceux et celles dont les yeux sont remplis d’attente, porter leur voix, en un mot, contribuer humblement à changer leur vie et à rendre meilleure notre société.
NYELENI Magazine : On a eu vent de votre prochaine parution sur le Genre, avions-nous ce concept dans nos Us et coutumes ?
Oumou Ahmar Traoré : ça dépend de la définition que vous lui donnez. Je crois qu’un contresens a été attribué au concept genre dès son apparition aussi bien dans plusieurs endroits du monde que dans notre pays, les commentaires vont encore bon train au point d’entraver des politiques et programmes qui n’ont d’autres buts que d’améliorer l’existence des femmes et des hommes, des filles et des garçons . Presque partout dans le monde, les femmes sont défavorisées par rapport aux hommes, les filles par rapport aux garçons dans différents domaines. Les politiques genres visent à corriger ces déséquilibres et n’oubliez pas que notre pays s’est doté depuis 2010 d’une Politique Nationale Genre ( PNG) dont le Ministère de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille est en charge et dont la mise en œuvre est assurée par le Secrétariat Permanent de la Politique Nationale Genre
( SP/ PNG ). En plus, il y a l’organe de décision et d’orientation qui est le Conseil Supérieur du Genre ( CS/PNG) présidé par le Premier ministre et composé de l’ensemble des départements ministériels, des Partenaires Techniques et Financiers, de la société civile et de la Commission nationale des Droits de l’Homme entre autres . Le Mali fait partie des NU, des organisations régionales, sous –régionales telles l’UA, la CEDEAO et l’UEMOA qui imposent des mesures d’intégration du genre aux Etats membres ainsi que des mécanismes de contrôle et suivi. Eu égard à ce qui précède, je ne sais plus trop quoi répondre à la question de savoir si le genre est conforme à nos us et coutumes. Le Mali n’est pas ; en ce que je sache un Etat figé, il est ouvert au progrès et aux influences positives.
NYELENI Magazine : Nous posons toujours la question de savoir, comment les femmes arrivent elles à concilier vie de famille et multiples activités socioprofessionnelles ?
Oumou Ahmar Traoré : j’invite les uns et les autres à lire mon roman ,Une femme presque parfaite paru en 2018, aux éditions la Sahélienne à Bamako .
NYELENI Magazine : Comment voyez-vous les conditions de vie de la femme malienne ?
Oumou Ahmar Traoré : Les conditions de vie de la femme malienne n’évoluent certes pas au rythme souhaité mais, elles font, néanmoins leur petit bonhomme de chemin. La femme malienne est plurielle. Les conditions de vie d’une femme rurale ne sont pas identiques à celles d’une femme urbaine vice–versa. Pèsent singulièrement sur les femmes et les jeunes filles des campagnes, le mariage précoce, les grossesses multiples et rapprochées , la pénibilité et la surcharge des travaux domestiques, l’exode rural, la rareté des ressources naturelles, le refus de l’accès aux terres cultivables en dépit de la Loi n° 2017 du 11 avril 2017, portant sur le foncier agricole et dont l’article 13 stipule :«l’Etat et les collectivités territoriales veillent à assurer aux différentes catégories d’exploitants Agricoles et promoteurs d’entreprises Agricoles, un accès équitable aux terres foncières Agricoles. Toutefois, au moins 15 % des aménagements fonciers de l’Etat ou des collectivités territoriales sont attribués aux MALI aux groupements et associations de femmes et de jeunes situés dans la zone concernée »
Quant aux citadines instruites ou qualifiées, quand elles ne sont pas au chômage et qu’elles ne migrent pas elles sont nombreuses à être confrontées au sous–emploi, aux difficultés d’accès aux sphères décisionnelles malgré la Loi 2015-052 du 10 décembre 2015, instituant des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives. Ladite loi fixe à 30% les postes électifs et nominatifs qui doivent être attribués aux femmes et aux hommes.. Les citadines non instruites quant elles ne sont pas femmes au foyer avec de multiples responsabilités ; elles se battent dans le secteur informel parfois, au péril de leur vie.
En somme, femmes rurales et urbaines partagent le poids du patriarcat, de l’analphabétisme, de la déscolarisation ; de la pauvreté, malgré les efforts des différents partenaires locaux et internationaux et l’existence au Ministre de la Promotion de la Femme, du Fonds d’Appui à l’Autonomisation des femmes et l’épanouissement de l’Enfant ( FAFE).
De véritables sources de préoccupation à l’avancée des conditions de la femme malienne demeurent et elles ont pour nom : le péril jihadiste, la flambée du féminicide, et des violences basées sur le genre , l’amorce de la perte de l’identité culturelle, la faible application des décisions de justice condamnant les auteurs d’atrocités, ou des lois telles que celle du 23 juin 2005, instituant la prise en charge gratuite de la césarienne dans les établissements publics hospitaliers, les centres de santé de référence de cercle, des communes du District de Bamako et les établissements du service de santé des armées en plus de la loi 2015-052 constituent .
NYELENI Magazine : Pouvez-vous, nous parler des problèmes que rencontrent les écrivaines au Mali ?
Oumou Ahmar Traoré : il faut plus qu’un livre pour répondre à cette question. Je me contenterais, juste , de dire que notre pays gagnerait à soutenir davantage l’écriture féminine, à amplifier la voix des femmes à peine encore audible malgré leur talent et leur nombre. A preuve, grâce au soutien financier de la Délégation de l’Union européenne au Mali, le Réseau des écrivaines du Mali a pu publier en 2022 le Catalogue des écrivaines du Mali , vie et œuvres.
Avec émerveillement, nombre de Maliens ont pu découvrir à quel point le pays regorge de femmes de plume. .Être écrivaine au Mali, c’est d’abord faire face au déficit de temps libre pour coucher ses idées au milieu des obligations familiales et professionnelles. A l’instar des confrères , c’est aussi être à toutes les phases de production du livre, de la rédaction à la recherche d’éditeur, de la réécriture à la correction, de la mise en page à l’impression à la promotion. Etre écrivaine au Mali, c’est enfin publier à compte d’auteur, c’est être commercial et parfois même marchande ambulante par le nombre extrêmement limité de librairies et de circuits de diffusion. Le seul réconfort réside dans la joie des lectrices et lecteurs, dans leurs marques de sympathie.
NYELENI Magazine : Avez-vous laissé le journalisme pour le Roman ?
Oumou Ahmar Traoré : On peut laisser le journalisme mais le journalisme ne vous quittera jamais . J’ai évolué vers d’autres horizons, mais le terrain, l’ambiance de la Rédaction, et surtout les bisbilles lors des conférences de rédaction, les réactions de satisfaction de lecteurs anonymes me manquent énormément.
NYELENI Magazine : Quel conseil pouvez-vous donner aux écrivains-nes en herbe ?
Oumou Ahmar Traoré : de s’accrocher, de s’abreuver de lecture et de compter surtout sur leurs propres moyens en attendant les jours meilleurs pour la littérature.
Propos recueillis par Maïmouna TRAORÉ