MACALOU AWA BAKOROBA DEMBÉLÉ « …ÉCRIRE POUR CONTER L’HISTOIRE ET LA CULTURE DE MON PAYS »

Macalou Awa Dembélé est née à Kati, en 1956 dans la région de Koulikoro. Mariée, mère de trois (3) enfants et grand-mère d’une dizaine de bambins. Macalou Awa Dembélé est détentrice d’une Maîtrise en Langue Russe de l’École Normale Supérieure (EN Sup) de Bamako et auteure d’œuvres littéraires enfantines et de poésies. Pour bien d’écrire Awa, c’est simple, il faut juste penser à ce qu’elle dit d’elle-même « J’aime écrire, lire, conter l’histoire et la culture de mon Pays, chanter, voyager, broder à la main, faire la cuisine ». Elle est surtout l’auteure de l’Hymne des Droits Humains PDHRE / DPEDH – Mali en Langue Nationale Bamanan kan. Présidente Fondatrice de l’Association Malienne des Gens du Conte (AMGC) et membre de plusieurs associations au Mali et dans la sous-région. Membre du Réseau des Femmes écrivaines du Mali et de la Diaspora(RFEMD), Médaillée de l’ordre national du Mali(2018). Macalou Awa Dembélé parle Bamanan kan, Dafing, Peulh, Sonrhaï, Français, Anglais et Russe. Elle répond à nos questions, suivez.

NYELENI Magazine : Qui est Macalou Awa Dembélé ?

Macalou Awa Dembélé : Je suis née en Février 1956 à Kati (Région de Koulikoro). Mon père était d’abord militaire, puis administrateur civil qui a eu beaucoup d’affectations à travers le Pays Dans la Région de Mopti, nous avons fait Bankass, Ténénkou et Niafunké. Grâce à ces nombreuses mutations de mon père dans différentes zones linguistiques, hormis ma langue maternelle, le Bamanankan, toute petite, j’ai appris aussi le Dafing que je parle très bien, le Peulh assez bien et le Sonrhaï, passablement.

J’ai fait mes premiers pas à la l’école dans le Cercle de Bankass : de la première année jusqu’en classe de 6ème année. Puis, j’ai poursuivi l’école fondamentale à Téninkou où j’ai décroché le D.E.F. J’ai été orientée au Lycée Askia Mohamed (L.A.M.) . Après le Baccalauréat, j’ai continué mes études à l’Ecole Normale Supérieure de Bamako, dans la Section Langue Russe. Après, j’ai obtenu une bourse d’études pour l’Université d’État de Varonèj (Ex-Union Soviétique), sanctionnée par un Certificat en Philologie.

NYELENI Magazine : Vous avez commencé à écrire à partir de quel moment ?

Macalou Awa Dembélé : J’ai commencé à écrire dès ma première année au Lycée. Mon Professeur de Lettres, Madame Bèye appréciait tout ce que je griffonnais, comme elle aimait à le dire. A 16 ans déjà, quelques-uns de mes premiers poèmes ont été publiés lors d’une rencontre culturelle : ‘’Nuit de Poésie’’, organisée par un groupe d’écrivains parmi lesquels, je me souviens encore d’Abdoulaye Askofaré, Feux Baba Sangaré dit ‘’Grazy’’, Gaoussou Diawara et bien d’autres encore…

NYELENI Magazine : D’où vient votre inspiration ?

Macalou Awa Dembélé : Je m’inspire des contes de ma grand-mère, de ma maman, de mon papa, des nombreux endroits que j’ai eu à visiter, de mon quotidien. Je peux dire que ma famille a balisé un terrain d’inspiration pour moi, en me réservant le privilège de m’exprimer.

NYELENI Magazine : Etait-ce une tradition dans votre famille de raconter des histoires ?

Macalou Awa Dembélé : Depuis toute petite, je prenais un extrême plaisir à écouter ma grand-mère qui, tout en filant le coton, contait ses ‘’histoires’’ que j’appelais alors ; ‘’ses mensonges’’. J’ai poursuivi mes études, tout en restant à l’école de ma maîtresse, ma source royale, ma bibliothèque vivante, la reine artistique : cette grand-mère maternelle, Kinty Damba, à qui, je dois mon art du conte. Marquée par ces années de bonheur, je me suis surprise, plus d’une fois, sur ses pas, et à l’écoute de mes aînés, et de mes oncles et tantes…et des écrivains d’ailleurs…. C’est ainsi que par la suite, deux évènements allaient sceller mon choix. Tout d’abord, l’angoisse qui m’a envahie un soir, en pleine fête de la parole, quand ma grand-mère somnola. Sa tête déclina. Je vis soudain le coton se défaire et la quenouille tombée petit à petit. Cette finitude d’un moment, balaya en un tour de main, le flot de paroles de grand-mère Kinty …. Je sentis naître en moi, une volonté de suspendre le temps, de protéger ce riche legs… Ensuite, le second événement ayant aidé à ma prise de conscience de mon ¨devoir de générations’’ a été la demande exprimée par mes neveux installés en France. Ceux-ci, après un séjour au Mali, ont ressenti un manque : « Ah ! Tante chérie ! Quelle nostalgie ? Quel bonheur que de se sentir suspendu à tes lèvres ! Que faire ? Quel passage de relais ? Pour ma part, en tant que mère et grand-mère, j’ai décidé d’égayer et d’instruire les enfants d’ici et d’ailleurs à travers les contes et les proverbes…

NYELENI Magazine : Quels sont les héros des contes qui ont marqué votre enfance ?

Macalou Awa Dembélé : Les héros des contes qui ont marqué mon enfance sont :

  • Fanani, l’enfant prodige issu d’une sorcière. A travers lui, est ressuscitée une fascinante figure du Pays Bamanan…
  • Koriyan, une femme qui, par sa bravoure, a pu mettre son village à l’abri des méfaits d’une diablesse qui terrorisait sa communauté…
  • Le caïman sans queue qui coiffe, tatoue et offre des bijoux en or à une jeune orpheline de mère, torturée…

NYELENI Magazine : Arrivez- vous à vivre de votre métier ?

Macalou Awa Dembélé : Non ! Ceci est loin d’être le cas. Aujourd’hui, le conte se dit dans les écoles, au cours des spectacles tels que les Festivals, les rencontres culturelles, etc. Dans ces cas, la conteuse a droit à un cachet. Seulement, ces propositions sont rares : une ou deux par an. En plus, l’édition des contes pose problème. Sans sponsors, sans commandes, ce n’est guère évident.

Du reste, j’essaie de faire autres choses : traduction / sous-titrage de films – personnages de films sur oralité et écriture – communication évènementielle. J’en appelle aux décideurs de nos Etats, aux opérateurs économiques, aux banques, partenaires et bonnes volontés pour nous permettre, nous les Conteurs, d’apporter notre pierre (de qualité) à la construction du Pays et de l’universel.

NYELENI Magazine : Avez-vous déjà publié vos contes, ou les avez-vous déjà enregistrés ?

Macalou Awa Dembélé : J’ai sorti un recueil de 24 contes : les veillées africaines. J’ai fait éditer quatre contes en publication restreinte : Fanani, l’enfant prodige, le singe devenu tisserand, l’hyène en quête d’épouse, Koriyan et la diablesse, Nayé et le Phénix. Mon premier livre de conte Nayé et le Phénix (en version Junior et Sénior) qui fut retenu par la Bibliothèque    Nationale de Paris, reste lui aussi, dans les limites d’une publication restreinte (environ 2000 exemplaires déjà distribués).

J’ai également deux contes scénarisés (pour le théâtre ou les téléfilms) non encore produits, fautes de sponsors : Nayé et le Phénix, le tam-tam des animaux.

Seuls deux manuels scolaires, ayant comme vecteur pédagogique, le conte, ont bénéficié d’une validation et d’une publication de masse suite à une commande du Ministère de l’Education Nationale du Mali : Mon Premier Alphabet et Ma Première Lecture.

J’ai aussi fait quelques enregistrements privés dont les premiers à l’intention de mes neveux en France et à ceux de Bamako.

NYELENI Magazine : Dans quelle langue contez-vous ?

Macalou Awa Dembélé : Je conte en Français, ma langue de travail, en Bamanan kan, ma langue maternelle et en plusieurs autres langues du Mali.

NYELENI Magazine : Est-ce que la langue a son importance ?

Macalou Awa Dembélé : La langue que l’auditoire comprend, joue un grand rôle dans le conte. Il est bon de préciser qu’on peut conter dans toutes les langues. Seulement, chaque langue a sa particularité. On ne peut s’empêcher d’utiliser certains idéophones ou onomatopées dans la langue qui nous est familière pour donner du plaisir à écouter….

Polyglotte, j’ai une connaissance acceptable de certaines langues : Bamanan kan, Fulfuldé, Sonrhaï, Khassonké, Français, Anglais, Russe.

NYELENI Magazine : Êtes-vous régulière en contact avec des conteuses africaines vivant en Afrique ou ailleurs ?

Macalou Awa Dembélé : Je suis en contact permanent avec un certain nombre de Conteuses africaines rencontrées lors des Festivals. D’autres aussi m’ont connue à travers les médias et elles m’ont adressé des messages de félicitations et d’encouragements.

A la suite de ces nombreuses rencontres, une Sénégalaise nommée Diéynaba Guèye dite Diéo, m’a hébergée à Dakar pendant le Festival Mondial des Arts Nègres. Auteure, écrivaine prolifique comme moi, elle a, à son actif, plusieurs ouvrages sur la poésie et les beaux contes de la Terranga.

Ensuite, une comédienne-conteuse Guadeloupéenne, du nom de Yan Mareine, de passage à Bamako, m’a rendu visite, suite à plusieurs échanges de messages E-mail. Elle réside en France. Je corresponds également sur Internet, avec certaines conteuses telles que la Guinéenne de Conakry, Aïcha Magassouba, l’Ivoirienne Thérèse, la Béninoise Charelle Hounvo, la Togolaise Akofa et Rachelle Boundy du Burkina Faso, pour ne citer que celles-ci…

NYELENI Magazine : Pensez-vous qu’Internet favorise les échanges entre les conteuses ?

Macalou Awa Dembélé : Bien sûr qu’Internet nous rapproche. Dès que j’ai une information sur un festival, ou tout autre évènement relatif au conte, je la diffuse immédiatement. Les autres aussi font pareil. Au moins, une fois par mois, nous-nous donnons des nouvelles.

NYELENI Magazine : Participez-vous parfois à des festivals de contes ?

Macalou Awa Dembélé : J’ai participé au Festival International de contes « Yeleen » de Bobodioulasso (Burkina Faso) du 19 Décembre 2009 au 03 janvier 2010.  Au Festival Mondial des Arts Nègres de Dakar (Sénégal) du 10 Décembre 2010 au 1er Janvier 2011, au Festival International de Littérature de Jeunesse « Kalan Kadi » de Bamako (Mali) du 10 au 12 Mars 2011 ; à la Rencontre Internationale de Littérature Orale Africaine, tenue du 07 au 11 Juillet 2011 à Sikasso (Mali) au FETEKAO à Kaolack au Sénégal, au FESTICONTE de Tshévier au Togo, Houida au Bénin en 2012. En 2016, au Festival des Théâtres des Réalités à Sikasso au Mali. Le dernier festival auquel j’ai participé, date de 2019 à Lomé, au Togo. Depuis l’apparition et la propagation de la pandémie du Coronavirus 2019, je ne suis pas encore sortie du Pays, bien que je sois vaccinée. Cette pandémie à beaucoup impacté sur nos intérêts pécuniaires.

NYELENI Magazine : Quel a été la réaction de vos proches, à la vue de votre premier livre ?

Macalou Awa Dembélé : Pour peaufiner un livre, c’est comme si on entretient une grossesse jusqu’à terme. Le premier livre est toujours accueilli avec une surprise envahie de joie. J’ai publié plutôt 2 livres à la fois. Je profite de cette interview, pour prouver à mon conjoint, à mes frères et sœurs, ma profonde gratitude. Ils ont été les premiers à croire en moi, m’apportant leur soutien matériel. Je remercie le Ciel de m’avoir donné une famille intellectuelle, diversifiée par la profession et unie. Par admiration, une cadette m’avait demandé si toutefois, mon livre avait été fait à Bamako ! Mon frère aîné, très ému, m’as dit, en dissimulant des larmes de joie : ‘’tu es une bonne élève !’’ Chacun m’a appréciée en sa façon.

NYELENI Magazine : Après ce premier livre, quelle a été la suite ?

Macalou Awa Dembélé : Après mes 2 livres, j’ai réalisé 4 recueils de poèmes, un recueil de 24 contes illustrés, 10 manuels scolaires.  Le dernier livre est un roman, qui, Inch’Allah, sortira bientôt.

NYELENI Magazine : Parlez-nous de vos poésies ?

Macalou Awa Dembélé : J’ai quatre (4) recueils de poèmes à mon actif. Le 1er recueil, intitulé ‘’Ailes nocturnes’’, est satirique. Le second recueil, ‘’Panier d’amour’’, parle de l’amour pour un heureux bien-aimé. Quant au 3ème recueil, ‘’Précieux éloges’’, je glorifie mes parents et proches. C’est l’amour maternel, le profond amour maternel pour ma Maman que j’ai beaucoup chérie depuis ma tendre enfance jusqu’au jour où elle a fermé les yeux pour toujours… Le 4ème, ‘’Le Recueil noir’’, retrace la perte des parents, de certaines Sommités du Pays.

NYELENI Magazine : Quelle histoire intéressante de votre enfance a été une source d’inspiration pour vous dans vos œuvres ?

Macalou Awa Dembélé : L’histoire qui m’a le plus inspirée dans ma vie d’écrivaine, est celle de ‘’Bakaridjan et Bilissi’’. A travers ce récit, je me sens toujours enracinée dans la contrée de mes parents. Et l’histoire du Caïman qui a inspiré un conte pour mettre les enfants en garde :

Gafou et le caïman

L’année ou je devais aller à l’école, je voyageais avec ma maman et mes frères cadet !… Au bord du fleuve Bani.  La petite Gafou (Il s’agit de moi-même) faisait calmement la vaisselle. Ensuite, elle commença à se laver. Son frère cadet Ibrahim lui cria une fois, deux fois :

  • Un caïman arrive ! Un gros caïman arrive !

Sans se méfier, Gafou avançait dans l’eau et continuait à se baigner. Soudain, un grand bruit de clapotis se fit entendre. Gafou était dans la gueule dentue du caïman.  Aussitôt, d’un dernier geste désespéré, la mère accourut vers l’eau. A l’aide d’une cuvette blanche, elle frappa sur la tête du caïman et blessa son œil. L’œil du caïman se mit à saigner, à saigner abondamment. Pendant ce temps, la petite Gafou agitait ses jambes dans l’eau. Sous la douleur, le caïman lâcha prise sa proie et se mit à crier. Aussitôt, il disparut au fond du fleuve Bani en laissant des traces de sang entre les vagues.

  • Le caïman a emporté la fillette ! Hurlaient ceux qui n’avaient pas bien suivi la scène. Mais les plus attentionnés criaient la victoire :
  • Quel miracle ! Criaient les uns.
  • Quelle chance incroyable ! Disaient les autres.

Et tout le monde voulut, à la fois, toucher la rescapée et lui faire des bénédictions. Et… Chacun voulut commenter la scène en sa façon…  Cependant, Gafou cherchait quelque chose. Comme un objet précieux sous l’eau, semblait-il… Mais…

  • Où se trouve le gros morceau de savon ‘’Marseille’’ que je tenais ? Oh ! Il est, sans doute, resté dans la gueule de ce vorace ! Et ce savon va lui broyer les boyaux ! Ha ! Ha ! Ha ! Ha !

Dit Gafou en se jetant dans les bras de sa maman chérie.

  • Merci M’an dit-elle avec un sourire de reconnaissance.

NYELENI Magazine : Comment conciliez-vous, vie de famille, activités littéraires et vie associative ?

Macalou Awa Dembélé : Je dirai plutôt vie de famille, activités littéraires, vie associative et vie de fonctionnariat. Il s’agit là, de faire une organisation interne en dressant un emploi du temps sans oublier le social. Je m’occupe de la Famille. Je tiens à préparer les repas, à prendre soin des habits de mon conjoint jusqu’au moindre détail et c’est son désir le plus ardent. Je vais au travail avec assiduité et je tiens toujours à cultiver l’excellence. Mon temps d’écriture est réservé à la nuit, après avoir accompli mes devoirs religieux et conjugaux. Heureusement pour moi, je suis tombée sur un époux qui tolère ‘’mes caprices’’ et apprécie tout ce que je fais à la maison pour l’écriture. Ensuite, il m’aide même à surmonter certaines contraintes et à bien cerner mes sujets d’écriture.  La vie associative est pour moi, une ‘’école’’ qui vient couronner mes autres activités. Les réunions, les rencontres avec d’autres mondes, différentes générations et d’autres cultures m’ont toujours permise de me ressourcer à leur vivre ensemble et à leur convivialité.

NYELENI Magazine : Pouvez-vous nous parler du conte que vous avez choisi pour nos lectrices ?

Macalou Awa Dembélé : Le conte choisi est : ‘Nayé et le Phénix ».  Nayé et le Phénix est mon premier conte illustré. Le jour où l’imprimeur a réalisé la première maquette, je suis venue, presqu’en courant, la présenter à ma Maman chérie. Mais avant de lui tendre le livre, je lui ai d’abord lu le poème que je lui avais dédié.

Propos recueillis par Maïmouna TRAORÉ

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