LE POUVOIR VEUT ORGANISER DES LEGISLATIVES SPECIALES POUR LES NOUVELLES REGIONS DE LA CMA EN VIOLATION FLAGRANTE DE LA CONSTITUTION

Visiblement, Ibrahim Boubacar Kéita et son gouvernement veulent profiter du moment que l’attention de la République est focalisée sur la menace de la pandémie du coronavirus (COVID-19) pour faire encore plaisir à leurs alliés de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Et cela en violant une fois de plus la constitution à travers un Projet de préparation d’élection de députés dans les régions de Taoudéni, Ménaka et dans les cercles d’Almoustrat et Achibogho.

«Examen du projet de décision portant création des commissions de mise en place des autorités intérimaires et de préparation de l’élection des députés à l’Assemblée nationale au niveau des régions de Taoudéni et Ménaka et des cercles de Almoustrat et Achibogho» ! Tel est l’objet de la lettre N°001100/MATD-SG en date du 9 avril 2020 adressée au président de la CMA par le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation.

Une correspondance qui ne laisse aucun doute sur les intentions réelles du président Ibrahim Boubacar Kéita et de son gouvernement : violer une nouvelle fois notre constitution pour faire plaisir aux ex-rebelles ! En effet, cette missive invite les responsables de la CMA à une réunion ayant pour objet l’examen du projet de décision de mise en place des autorités intérimaires et de préparation de l’élection des députés à l’Assemblée nationale dans les régions de Taoudéni et de Ménaka, d’une part, et dans les cercles de Almoustrat et de Achibogho d’autre part.

Comme l’a déploré le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD, opposition) dans un communiqué de protestation, datant du 13 avril 2020, cette démarche est en «contradiction totale avec la Constitution, les décisions de la Cour constitutionnelle et la Loi électorale en vigueur». Cette législation fixe non seulement le nombre des députés à l’Assemblée nationale, mais aussi les modalités de renouvellement de cette institution dans son intégralité. Et nous savons tous les conditions d’organisation des législatives partielles.

La pilule aurait pu passer s’il s’agissait d’un scrutin prévu dans toutes les nouvelles régions opérationnelles par les nominations des gouverneurs (Koutiala, Bougouni…). Mais, si l’on se réfère à la lettre du MATD, il s’agit d’organiser des élections dans les nouvelles entités administratives régions du nord (Ménaka et de Taoudéni ainsi que dans les cercles de Almoustrat et de Achibogho) qui sont les zones d’influence de la CMA et des réseaux alliés de terrorisme et de trafic.

Accélérer la marche forcée vers l’éclatement de la République

Ce qui est une flagrante violation du «principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant la loi». C’est aussi une violation de la loi électorale qui dispose que «l’Assemblée nationale est intégralement renouvelée».

Et Dr Brahima Fomba de l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJP), a raison quand il rappelle dans une récente tribune sur le sujet que, «la République constitutionnellement indivisible du Mali avec le morceau de région autonome de l’Azawad qu’elle traîne, n’arrête décidément pas dans les faits, sa marche forcée vers l’éclatement. Le nouveau coup d’accélérateur de ce mouvement vient du gouvernement à travers le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation qui est en train actuellement de gamberger, comme un complot contre la République, des législatives spéciales pour la CMA».

Et de s’interroger : «La Constitution du Mali et les lois de la République ne seraient-elles aux yeux de IBK et de ses ministres que des chiffons sans valeur juridique quelconque» ? La correspondance du ministre Boubacar Alpha Bah suscite en tout cas beaucoup d’autres questions qui interpellent IBK et son gouvernement. Le chef de l’Etat aurait-il concédé aux ex-rebelles de la CMA des élections spécifiques contre leur soutien au processus électoral actuel ? Sur quel fondement juridique le ministre veut-il s’appuyer pour organiser ce scrutin taillé à la mesure des intérêts de la CMA ? Pourquoi le gouvernement a-t-il fait fi des multiples mises en garde sur l’actualisation des circonscriptions administratives avant la tenue des législatives ?

La loi N°02-010 du 05 mars 2002 violée

Pour Dr Fomba, ce projet remet en cause «le principe constitutionnel d’égalité du suffrage». Il y a peu de temps, le gouvernement a cru bon de rappeler à tous que les législatives de mars et d’avril 2020 allaient se tenir sur la base des circonscriptions électorales de cercles et de communes du District de Bamako telles que prévues par la loi N°02-010 du 05 mars 2002 portant loi organique sur les députés.

Aux termes de cette loi, 147 députés sont à élire dans les 55 circonscriptions électorales réparties sur l’ensemble du territoire national entre les cercles et les communes du District de Bamako. Autrement dit, le gouvernement excluait de facto les nouvelles circonscriptions administratives de cercles. De ce fait, a indiqué Dr Fomba, il n’a pas été tenu compte en particulier de la loi N°2012-018 du 02 mars 2012 et des nouveaux cercles suivants qu’elle a créés dans les régions de Tombouctou, Taoudéni, Gao, Ménaka et Kidal : cercles de Achibogho dans la Région de Kidal; Almoustrat dans la région de Gao; Taoudéni, Foum-Elba, Achouratt, Al-Ourche, Araouane et Boû-Djébéha dans la région de Taoudéni ; Anderamboukane, Inékar et Tidermène dans la région de Ménaka.

Il en a été de même pour tous les cercles opérationnellement ou non érigés en régions constitués à leur tour de nouveaux cercles. «Si le collège électoral a été convoqué sur toute l’étendue du territoire national, cela signifie que le corps électoral d’aucune localité du pays n’a été physiquement exclu des législatives actuellement en cours», a précisé le juriste. Ce qui est le cas en lisant l’article 1er du Décret n°2020-010/P-RM du 22 janvier 2020 portant convocation du collège électoral qui dispose que «le collège électoral est convoqué le dimanche 29 mars 2020 sur toute l’étendue du territoire national, à l’effet de procéder à l’élection des députés à l’Assemblée nationale», rappelle Dr Brahima Fomba.

Et d’ajouter, «dans ces conditions, il ne saurait y avoir une quelconque nouvelle élection de députés à l’Assemblée nationale au niveau de ces nouveaux cercles. D’ailleurs, des sièges ont d’ores et déjà été emportés lors du premier tour dans les anciens cercles du nord».

Comme lui, nous pensons que le ministre Boubacar Alpha Bah «devra au peuple malien de sérieuses explications pour justifier une telle imposture juridique». Et cela d’autant plus, a-t-il défendu, «le principe constitutionnel de l’égalité devant le suffrage induit nécessairement que la voix de chaque électeur pèse le même poids comme résumé par l’adage : One man, One vote, c’est-à-dire « un homme, une voix».  C’est pourquoi «la mascarade électorale en préparation au ministère de l’Administration territoriale est un mépris inqualifiable de ce principe constitutionnel dans la mesure où elle revient à faire voter deux fois le même corps électoral pour le même renouvellement général de l’Assemblée nationale. Tout se passera comme si le même corps électoral va voter deux fois, rompant ainsi l’égalité de suffrage au Mali», a-t-il dénoncé.

Une crise politique à l’horizon au moment où le pays de besoin d’union nationale pour enrayer la menace du COVID-19

Et, ironise Dr Fomba, «à moins de considérer que les électeurs ciblés par le double vote en préparation au ministère de l’Administration territoriale sont supérieurs au reste de la population électorale nationale, aucune nouvelle élection n’est possible ni dans les régions de Taoudéni et Ménaka ; ni dans les cercles de Almoustrat et Achibogho ; ni d’ailleurs nulle part en République indivisible du Mali». En effet, à part les élections partielles, «aucune élection n’est possible jusqu’au prochain renouvellement général de l’Assemblée nationale. Sur la question, le droit électoral malien ne se prête à aucune acrobatie juridique». Nous sommes donc en train de boucler actuellement le renouvellement général de l’Assemblée nationale sur la base de 147 sièges, conformément à la loi N°02-010 du 05 mars 2002 portant loi organique sur les députés.

De toute évidence, il faut renvoyer le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation à la Constitution et aux textes de loi. Et cela d’autant plus que, comme le rappelle pertinemment le FSD dans son communiqué, «cette démarche porte des germes de futures crises institutionnelles et politiques». En effet, le gouvernement peut être sûr que le peuple malien ne manquera pas de s’opposer énergiquement à des tripatouillages juridiquement indécents». Et surtout que cela ne fait pas partie des recommandations du Dialogue politique inclusif !

Hamady Tamba (Le Matin)

LE MATIN

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