Pour la 3e fois depuis l’imminence de la menace de la pandémie du coronavirus sur notre pays, le président Ibrahim Boubacar Kéita s’est adressé à la nation dans la nuit du vendredi 10 avril 2020. Et, une fois n’est pas coutume, sa longue allocution semble avoir comblé les attentes de ses compatriotes. En effet, IBK a annoncé des mesures fortes destinées à protéger les plus vulnérables et à soutenir les entreprises qui sont dans une zone de turbulence dans tous les secteurs. Malgré l’espoir suscité, les Maliens sont méfiants parce qu’entre le discours politique et la concrétisation des promesses, beaucoup perdent généralement tout espoir. Ces mesures vont-elles alors échapper aux mauvaises pratiques et atteindre leurs cibles ?
Son discours était souhaité, donc très attendu. Et le président Ibrahim Boubacar Kéita n’a pas déçu, du moins dans son allocution. Les mesures d’accompagnement des populations et des entreprises sont courageuses pour un pays en crise et qui, même en période normale, est sous une assistance financière (aide budgétaire). Et la kyrielle de mesures annoncées sont aussi toutes pertinentes.
Ainsi, un fonds spécial de 100 milliards de francs CFA (près de 166 112 950 dollars) sera mis en place pour les familles les plus vulnérables à l’échelle des 703 communes du Mali. De plus, en direction des couches les plus fragiles, le président Kéita a énuméré des mesures comme la diminution (pendant 3 mois) de la base taxable au cordon douanier des produits de première nécessité, notamment le riz et le lait ; la prise en charge pour les mois d’avril et de mai 2020, des factures d’électricité et d’eau des catégories relevant des tranches dites sociales, c’est-à-dire les plus démunies ; l’exonération de la Taxe sur la valeur ajoutée les factures d’électricité et d’eau de tous les consommateurs pour les mois d’avril, mai et juin 2020 ; la distribution gratuite de cinquante-six mille tonnes de céréales et de seize mille tonnes d’aliments bétail aux populations vulnérables touchées par le COVID-19…
Ces mesures, au bas mot, doivent coûter à l’Etat 500 milliards de francs CFA, soit près de la moitié du budget du pays pour cette année. Un sacrifice financier indispensable contre une pandémie que le chef de l’Etat a qualifiée «d’arme de destruction massive».
Quid de la mobilisation des 500 milliards
Mais, comme l’a si bien dit un neveu qui a suivi le discours avec beaucoup d’intérêt comme sans doute la grande majorité des Maliens (une fois n’est pas coutume), «IBK a parlé ! Et il a bien parlé. Il reste maintenant à tout mettre en œuvre pour que ces promesses ne restent pas que des intentions, une belle profession de foi comme on en a l’habitude avec nos dirigeants» !
Le plus difficile est à donc venir : la mise en œuvre de cet ambitieux plan de riposte dont les financements sont loin d’être entièrement acquis. D’ailleurs, IBK ne nous dit pas comment le gouvernement compte mobilier une telle ressource dans un bref délai. Certes, un fonds spécial a été créé pour recueillir les contributions privées. Mais, il n’est pas évident que l’on puisse collecter de cette manière le quart des 500 milliards de francs CFA. Faut-il alors revoir nos priorités budgétaires dans un pays où tout est urgent ? Sans doute que, comme d’habitude, Koulouba mise sur la «solidarité internationale».
Et quelle peut être la portée réelle des mesures annoncées en faveur des démunis ? Cela va dépendre des critères fixés pour déterminer qui mérite cette aide providentielle et qui ne le mérite pas. Un exercice délicat dans un environnement où la majorité de la population vit au jour le jour avec de plus en plus d’indigents. Quel Malien soucieux de gagner honnêtement et dignement sa vie n’est pas dans le besoin aujourd’hui ? La dignité empêche beaucoup de pères de famille de se plaindre, de tendre la main… Mais, Dieu seul sait comment ils vivent au quotidien.
L’autre question qu’on ne peut s’empêcher de se poser, est-ce que ces aides parviendront à leurs vraies cibles ? Comme garantie, le Chef de l’Etat a annoncé que «des critères de vulnérabilité évalués et consensuels conditionneront l’accès à ce fonds qui sera géré de manière collégiale et transparente, avec l’administration publique, les chefs de village et de quartier, les organisations citoyennes, les autorités morales désignées par les bénéficiaires eux-mêmes». Et il sera principalement procédé au renforcement du contrôle des prix appliqués par les brigades de la Direction générale du commerce, de la consommation et de la concurrence (DNCC). Tout comme, a promis IBK, «il sera fait preuve de plus d’innovations dans la mobilisation des ressources et les fonds constitués seront scrupuleusement gérés, sous la supervision du Chef de gouvernement».
Quels garde-fous pour éviter un détournement massif des gestionnaires dans leurs propres intérêts ?
Ces mesures sont-elles suffisantes pour que ses mesures courageuses ne soient pas déviées de leurs cibles ? Rien n’est moins sûr ! Dans un pays où l’impunité est érigée en règle de droit, les mauvaises pratiques ont la vie dure. Et dans ce genre d’opération, il suffit que ceux qui ont la main à la pâte graissent la patte à la chaîne de veille (supérieurs hiérarchiques, leaders communautaires et religieux, et même la presse) pour agir à leur guise.
C’est ainsi que les produits destinés aux déplacés du nord et du centre se retrouvent en grande quantité dans des familles nanties ou en vente dans des boutiques. C’est généralement le sort réservé à tous les dons destinés à des populations défavorisées, sinistrées, déplacées…dans notre pays. Ce n’est qu’une infime partie qui leur parvient. Le président saura-t-il alors se départir de l’image de tigre en carton qui lui colle depuis son accession à la magistrature suprême pour enfin porter le manteau de rigueur qu’on lui connaissait pendant les années passées à la Primature de 1994 à 2000 ?
Il a tout à y gagner. En effet, les mesures annoncées semblent avoir comblé la forte attente des Maliens. A lui de scrupuleusement veiller à ce qu’elles atteignent ceux qui en ont réellement besoin. Une mise en œuvre efficiente et transparente de ce plan de riposte est une «opportunité inespérée pour le Chef de l’Etat de regagner la confiance des Maliens», pense un observateur. Et à juste titre ! Une confiance sans laquelle rien de durable ne se construit et sans laquelle il sera utopique pour IBK de vouloir finir son mandat dans un climat socio politique apaisé en faisant taire détracteurs et… opposants !
Moussa Bolly (Le Matin)