«Bonnes», «52», «Bougougnery» domestiques, aide-ménagères… Elles se font appeler par tous les sobriquets, et rarement par leurs vrais prénoms. De plus en plus à couteaux tirés avec des patronnes dont elles sont le souffre-douleur, elles sont méprisées, mal traitées et fréquemment humiliées. Et pourtant, elles sont généralement le pilier de nombreux foyers avec une génération d’épouses de salons qui n’a presque rien appris comme tâche ménagère justement parce qu’elles comme leur mamans se sont reposées sur ces braves filles.
Ce jeudi matin, un nombre important de saisonniers (filles et garçons) étaient rassemblés sur un terrain de sport de Lafiabougou (commune IV de Bamako) autour d’un vieux bus baptisé «Air Afrique», en souvenir sans doute la défunte compagnie aérienne qui a longtemps symbolisé l’intégration africaine. Motos, vélos, téléviseurs, boomers, matelas, ustensiles de cuisine… Ils étaient visiblement heureux et fiers de rentrer avec quelque chose au village. «Ces derniers temps, ceux ou celles qui retournent au village sont ceux qui ont réussi à faire des économies», explique un sociologue.
Dans le groupe, l’une était particulièrement entourée : Korian ! Une jeune fille qui venait d’un petit village du cercle de Bla (région de Ségou). «C’est ma patronne et ses enfants qui viennent m’accompagner chaque année», dit-elle avec une fierté non dissimulée. «C’est rare de voir une patronne accompagner sa bonne ici», dit Saran, une jeune dame qui était venue accompagner ses deux sœurs cadettes.
«Korian est une fille respectueuse et bosseuse. Ces parents peuvent vraiment être fiers d’elle parce qu’elle est bien éduquée. Et son futur époux n’aura pas de soucis à se faire parce qu’elle maîtrise à merveille les tâches dévolues à une femme au foyer. Avec elle, je m’occupe de mes affaires sans soucis. Je n’ai pas besoin de laisser des consignes parce qu’elle sait ce qu’il faut faire, quel plat préparer quel jour…», nous confie Kadidia, la patronne qui est une opératrice économique.
«Cela fait 5 ans que je viens travailler à Bamako après l’hivernage. Je n’ai pas travaillé ailleurs que chez Tanti Kady (Kadidia). Dès la première fois, nous nous sommes bien comprises parce qu’elle a eu la patience de me montrer les choses, de supporter mes bêtises», souligne la jeune fille qui ne tardera pas sans doute à se marier. Et d’ajouter, «j’ai été adoptée par cette famille. C’est comme si j’y étais née. Souvent quand les amies de Tanti viennent, elles lui demandent : où est ta bonne ? Et elles sont surprises quand elle me désigne».
En tout cas, sa bonne conduite la met au-dessus du lot en termes d’achats pour retourner au village. «Chaque année, Tanti m’offre des cadeaux que mon salaire ne m’aurait jamais permis de payer. Et même mon père et ma maman ne sont pas oubliés», nous confie-t-elle les larmes aux yeux et nous montrant tout ce qu’elle allait amener au village. «Elle est triste parce qu’elle va se marier à la fin de l’hivernage. Elle n’est pas sûre de revenir à Bamako après. Mais, elle est désormais de la famille et elle sait qu’elle a un foyer ici pour l’accueillir chaque fois qu’elle a envie de venir. D’ailleurs, sa tante qui me l’a confiée pour la première fois me promet de m’envoyer l’une de ses sœurs. Et nous avons aussi promis à Korian de nous tenir informé de la date de son mariage parce que je tiens à y être présente», assure Kadidia.
Des relations de plus en plus houleuses
De telles relations entre une «Bonne» (aide-ménagère) et sa patronne sont vraiment rares de nos jours. On peut même parler de cas rares sans aucune exagération. Autant, les femmes de Bamako et de nombreux centres urbains ont du mal à se passer de ces aide-ménagères, autant les relations sont généralement houleuses, conflictuelles et finalement ni l’une ni l’autre n’est satisfaite au bout du compte.
Au Mali, plus précisément à Bamako, elles sont nombreuses les aide-ménagères qui viennent de la campagne entre octobre et décembre (les scolaires ne viennent que pour les trois mois des vacances). Elles travaillent dans les familles afin d’économiser de quoi payer le trousseau de mariage. Elles repartent ensuite entre fin mai et début juillet pour contribuer aux travaux champêtres… «A l’approche de chaque fête, je rentre au village avec un soutien financier et matériel pour la famille et surtout fêter aussi avec les miens», a affirmé Fanta Sangaré, aide ménagère.
Ces jeunes dames débarquent à Bamako ou dans d’autres centres urbains dans un but précis. Certaines viennent parce que leurs familles n’ont pas d’argent et d’autre parce qu’elles ont fui un mariage forcé. «Je viens en ville pour travailler et apporter quelque chose à la maison parce que ma famille n’a pas les moyens de faire mon trousseau de mariage», avoue Salimata Koné.
Présentement, elles sont donc nombreuses les domestiques à prendre le chemin du village pour diverses raisons. Un départ qui met les épouses devant une équation difficile à résoudre. Elles sont nombreuses à être stressées quand le moment du retour pointe pour nos villageoises. «En ce moment, ce n’est pas facile d’avoir une autre aide-ménagère pour la remplacer car elles sont nombreuses à vouloir rentrer et les scolaires n’ont pas encore commencé à arriver… Elle va donc rentrer alors que nous n’avons pas encore trouvé de remplaçante. Ce n’est pas facile mais on va s’en sortir», se plaint Sidibé Bintou Coulibaly, secrétaire dans une ONG.
Refus de retourner au village pour diverses raisons
Celles comme Korian qui ont été rappelées pour le mariage ont peu de chance de revenir en ville sauf avec l’accord de leur mari. «Ces jeunes mariées qui reviennent en ville pour travailler ont généralement l’accord de leurs maris qui y vivent aussi», explique Fanta Sangaré. N’empêchent qu’elles ne sont pas moins nombreuses celles qui refusent de nos jours de retourner dans le village malgré toute la pression des parents. «Si elles refusent de rentrer, c’est soit parce qu’elles sont enceintes, où elles ont passé le temps à changer de boulot. Certaines ne peuvent pas aussi rentrer parce qu’elles ont cumulé des salaires non payés», a déploré Assitan Coulibaly, aide-ménagère.
Un traitement révoltant d’autant plus que ces filles sont les «bonnes à tout faire» dans certains foyers. «Je suis la seule bonne de la famille et mon travail consiste à balayer la cour matin et soir, faire la vaisselle et la lessive, aller vendre des jus et glaces au marché…», énumère Coumba, une ravissante et frêle adolescente marquée par le poids des travaux imposés.
Ces derniers temps, les rapports sont généralement tendus entre domestiques et patronnes. Les premières jugent être sous-payées et exploitées. Elles essayent donc d’imposer leurs propres règles. Et pour l’employeuse, ce diktat ne passe pas. «Elles sont aujourd’hui fainéantes et impolies. Elles veulent passer la nuit à courir derrière les garçons et passer une grande partie du temps à dormir. Elles ne sont pas payées pour dormir. Et on ne peut même pas leur faire de reproches sans qu’elles enfourchent leurs grands chevaux», déplore Doumbia Fily Traoré, enseignante. Si ces reproches sont largement partagés dans l’univers des employeuses, certaines comme Kadidia ont de bonnes relations avec leurs employées.
«Les bonnes occupent une grande place dans la maison vu qu’elles font la majeur partie de mon travail. Ici nous essayons de toujours les intégrer dans la famille pour qu’elles se sentent chez elles. Mais, cela ne réussit pas toujours, surtout avec les filles qui viennent avec des idées de libertinage et avec des prétentions salariales inacceptables», témoigne Mme Touré Sali Ouédraogo, femme au foyer. A noter que certaines patronnes payent les aide-ménagères à la tâche. Celles qui font des courses et font la lessive peuvent être payées jusqu’à 7 500 F Cfa. Celles qui font ces tâches en plus de la cuisine encaissent mensuellement entre 10 000 et 20 000 F Cfa.
Dans la société malienne les aide-ménagères viennent en ville pour travailler pour satisfaire divers besoins. Elles ont aussi un droit, mais certaines de leurs patronnes les méprisent et ne les payent pas à la hauteur des durs labeurs. N’empêche que l’arbre ne doit pas non plus cacher la forêt. Se croyant ou se sentant indispensables, ces filles rurales se comportent de plus en plus mal avec celles qui les emploient. Quand elles tombent surtout dans le vice des relations sexuelles désordonnées, elles oublient vite pourquoi leurs parents ont accepté de les laisser venir en ville.
Aïssata Kéita (Stagiaire) et Aïssata Bâ/Matin du 20 Juillet