En Afrique de l’Ouest, les révisions constitutionnelles ont-elles contribué à la consolidation de la paix et de la démocratie, ou l’inverse?

 En Afrique de l’Ouest, il semble que le temps des coups d’état soit révolu et que les révisions constitutionnelles aux airs de chérubin soient à la mode. Les chefs d’état ont appris leur leçon : ils ne cherchent plus à s’accrocher au pouvoir mais à le « moderniser ». En Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Burkina Faso et au Mali, des révisions constitutionnelles proposent de contribuer à une paix durable et de consolider la démocratie. Encore faudrait-il que la modernisation, apportée par cette inflation de nouvelles Constitutions, ne soit pas rejetée par un contexte politico-social rétif.

Kamissa Camara & Mahamadou Konaté

Marche du 17 juin 2017, contre la révision constitutionnelle au Mali (Ph/Rédaction)

Au Mali et en Côte d’Ivoire, des projets de révision constitutionnelle étaient sous-tendus par des exigences inscrites dans les accords de paix intervenus à la fin des crises ayant frappé ces deux pays. La nécessité de renforcer les institutions et de réconcilier les peuples en était les principaux ferments. Pourtant, dans la sous-région, le seul projet de révision constitutionnelle qui semble renforcer les institutions et les droits du peuple, du moins sur papier, est celui du Burkina Faso. Cela s’annonçait, dès le départ, à travers le type de commission mise en place pour élaborer ledit projet. A la différence des comités d’experts de la Côte d’Ivoire et du Mali dont les membres furent soigneusement sélectionnés par le gouvernement, la Commission Constitutionnelle du Faso est composée de représentants de toutes les couches socioprofessionnelles du pays, opposition et confessions religieuses comprises.

Quelques soient les objectifs affichés de consolidation démocratique de ces projets de révision de la Constitution, le contexte politique dans lequel celles-ci sont introduites dépend tout son succès, et surtout son échec.

Au Sénégal c’est l’opposition qui dérange

Au Sénégal, le président Macky Sall se pose en défenseur de la démocratie, en affichant son souhait de moderniser le système institutionnel sénégalais à travers 15 mesures. A l’en croire, la Constitution de 2016 renforce les compétences et l’indépendance du Conseil Constitutionnel et inscrit de nouveaux droits et devoirs du citoyen dans le nouveau texte fondamental. Ostensiblement, le Sénégal consolide la démocratie en réduisant le mandat présidentiel de sept à cinq ans, mais cette mesure ne sera effective qu’à partir de 2019. Aussi, dans la nouvelle Constitution, le Président Macky Sall reconnaît expressément “les droits de l’opposition et de son chef”.

Et pourtant, ce projet de révision constitutionnelle a vite perdu de sa sincérité : juste quelques jours avant le référendum constitutionnel, Khalifa Sall, figure montante du Parti Socialiste, l’ancien parti au pouvoir, et Maire de Dakar, est écroué dans une affaire de détournement présumé de fonds public. Cette incarcération ressemble, selon plusieurs figures de l’opposition sénégalaise, à un règlement de compte personnel contre un homme politique qui semble être le seul capable de mettre Macky Sall en difficulté pendant les présidentielles de 2019.

ADO à la recherche dson dauphin

En Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara (ADO) cherche à mettre fin à une décennie de tensions fratricides en proposant des changements de taille à la Constitution de 2000 qui porte les germes de la guerre civile 2002 – 2007. En octobre 2016, le Président ivoirien s’est taillé des pouvoirs importants en créant une vice-présidence de la République, considérée comme manœuvre pour évincer l’ancien leader des rebelles Guillaume Soro, actuel président de l’Assemblée Nationale et donc numéro deux dans l’ordre de succession à la présidence de la République.

Dans la nouvelle Constitution, Ouattara règle toutefois l’épineuse question de la nationalité des parents du candidat à la Présidence de la République. Seulement l’un des deux parents devra être de nationalité Ivoirienne, un changement prévu dans les Accords de Linas-Marcoussis signés en janvier 2003. La nouvelle Constitution propose également la création d’un Sénat dont un tiers des membres sera nommé par le chef de l’état. La création de cette seconde chambre du parlement vient d’être renvoyée à une date ultérieure en raison de crises sociales et mutineries récentes qui auraient éprouvées les caisses de l’Etat.

Les ambitions personnelles d’IBK

Au Mali, même scénario à quelques exceptions près. Le Président Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK) a pendant quelque mois ambitionné d’accommoder les Accords d’Alger signés en mai 2015, dans une nouvelle Constitution qui réviserait celle de 1992. Comme si les pouvoirs du président n’étaient pas assez grands, le projet de révision constitutionnelle de 2017 proposait un renforcement des pouvoirs du chef de l’état. Celui-ci aurait pu, si la Constitution avait été approuvée, désigner le Président de la Cour Constitutionnelle, le Président de la Cour des Comptes et un tiers des futurs sénateurs. Il aurait pu aussi modifier tous les articles de la Constitution par voie parlementaire, sans besoin de cachet référendaire.

Toutefois, la définition du “crime de haute trahison” dont les ministres et chef de l’état peuvent être accusés dans l’exercice de leurs fonctions, est la bienvenue. Également, la représentation de la diaspora malienne au Parlement, et l’introduction du scrutin à la représentation proportionnelle dans le mode d’élection des députés peuvent être considérées comme des mesures positives pour la démocratie. En effet, celles-ci permettent une représentation plus équitable de toutes les régions du pays dans l’hémicycle.

Suite à de nombreuses manifestions des forces vives de la nation farouchement opposées au projet de Constitution – notamment sous la plateforme « Ante a banna », le projet de révision a été suspendu en bloc. Les citoyens ont eu raison de sonner l’alarme : parmi une trentaine d’innovations apportées à la Constitution du 25 février 1992, il n’y avait que la création d’un Sénat qui était en lien direct avec les Accords d’Alger. Parmi les innovations, une consistait à donner une immunité de poursuite au Président de la République pendant la durée de son mandat. Une autre consistait à lever l’obligation faite aux ministres de déclarer leurs biens à leur entrée en fonction. Celles-ci avaient un rapport quasi inexistant avec le processus de paix en cours et ne semblaient en rien renforcer la démocratie et l’état de droit, bien au contraire !

Malgré les vœux pieux de la part des chefs d’états d’Afrique de l’Ouest, ces référendums sont perçus dans l’opinion nationale comme des présidentielles avant l’heure, qui cristallisent les tensions entre opposition et parti au pouvoir, divisent l’opinion et menacent un équilibre sociétal déjà fragile. Au Sénégal, au Mali et en Côte d’Ivoire, les nouvelles Constitutions ou projets de textes permettent désormais une révision du texte fondamental, sans recours à un référendum. C’est dire que le peuple, sous couvert d’une démocratie moderne perd en effet ses droits les plus fondamentaux. Là où la réalité est dure comme fer, le mythe perd sa place d’honneur.

Les auteur-es

Kamissa Camara est la Directrice Afrique de PartnersGlobal à Washington D.C. et une analyste politique affiliée au Centre d’études africaines de l’université de Harvard.

Mahamadou Konaté est professeur et analyste politique dans plusieurs écoles d’élite du Mali, notamment l’École d’état-major nationale et l’École de maintien de la paix Alioune Blondin Beye. Il est basé à Bamako.

 

 

 

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