Professeure Rokia Sanogo, enseignant chercheur en Pharmacognosie, à la Faculté de Pharmacie de l’Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako (USTTB), est Cheffe du Département Médecine Traditionnelle de Institut national de Santé Publique du Mali, responsable de la formation, la recherche et la mise au point des Médicaments Traditionnels Améliorés au Mali. Pr SANOGO est membre de l’Académie des Sciences du Mali, de la Société Malienne de Phytothérapie et Secrétaire générale de la Société Africaine de Phytothérapie. Elle est aussi Vice-Présidente du comité régional d’experts de l’OMS sur la médecine traditionnelle dans la riposte contre la Covid-19 (2020). En 2021, elle a été lauréate du premier Prix Galien Afrique pour le meilleur produit issu de la pharmacopée africaine, le Sirop BALEMBO®. Comme coordinatrice du Programme thématique Pharmacopée et Médecine Traditionnelle Africaine du CAMES, elle vient d’être lauréate du Prix Macky Sall pour la recherche du CAMES 2022, pour le projet multi-pays intitulé « Plateforme de recherche et d’innovation pour la production et la commercialisation des médicaments à usage humain et vétérinaire issus de la Pharmacopée Africaine». Nous l’avons rencontrée pour parler médecine traditionnelle et bien sûr avec un retour sur ses distinctions de l’année 2022.
NYELENI Magazine : Docteur en Pharmacie, PhD Pharmacognosie, première femme agrégée et titulaire du CAMES en Pharmacie au Mali, vous êtes la première femme et professeur titulaire de la Faculté de Pharmacie au Mali. Parlez-nous un peu de votre cursus et de ce que vous enseignez ?
Pr Rokia Sanogo : Pour mon cursus, après un Baccalauréat Malien en Série Sciences Exactes 1983, j’ai effectué des études de Pharmacie à l’ENMP pour devenir Docteur en Pharmacie en 1990, avec une thèse sur les méthodes traditionnelles de contraception au Mali. Après deux ans de bénévolat auprès du Département Médecine Traditionnelle, j’ai été boursière en Italie, où de 1992 à 1999, j’ai effectué une spécialisation en Pharmacognosie (1995) et un Doctorat de Recherche (Ph.D) en Pharmacognosie (1999). De retour au Mali en 2001, j’ai commencé un processus de carrière dans l’enseignement et la recherche.
J’enseigne la Pharmacognosie, la Phytothérapie et la Médecine Traditionnelle. Je mène des activités de formation, de recherche et développement en pharmacopée et médecine traditionnelle africaines. C’est ainsi que j’ai déjà encadré plus de 100 thèses, publier plus de 100 articles sur les plantes médicinales et développer des de nombreux médicaments à base de plantes médicinales.
NYELENI Magazine :Parlez-nous de l’évolution de la médecine traditionnelle dans notre pays ?
Pr Rokia Sanogo : En Afrique, le Mali est à l’avant-garde de la valorisation des ressources de la médecine traditionnelle (RMT). Les activités concernent la recherche sur les traitements traditionnels utilisant surtout les vertus thérapeutiques des plantes médicinales.
Le succès des recherches ménées au Département Médecine Traditionnelle (DMT) ont permis la mise au point des Médicaments Traditionnels Améliorés (MTA). Depuis 1983, certains de ces MTA ont une autorisation de mise sur le marché délivrée par le Ministère de la Santé à travers l’organe de réglementation pharmaceutique. Actuellement sept (7) de ces MTA sont inscrits sur la liste des Médicaments Essentiels et figurent dans le Formulaire Thérapeutique National du Mali. Ces MTA contribuent à l’offre de soins et renforcent l’accessibilité économique et géographique aux médicaments.
Afin de permettre au DMT de satisfaire la forte demande en MTA, le DMT a initié un partenariat public-privé professionnel en 2014. En 2015, ce partenariat a été renforcé grâce au projet d’appui de l’Organisation Ouest Africaine de Santé (OOAS) pour la production de médicaments à base de plantes. Ce projet a permis de mener des activités de promotion des MTA et d’établir un partenariat avec la Pharmacie Populaire du Mali (PPM) à travers la signature de la convention stratégique pour la production et la distribution du BALEMBO© à travers le circuit pharmaceutique public.
NYELENI Magazine : Dans le cadre de la riposte contre la covid-19, qu’avez-vous entrepris au niveau du Mali?
Pr Rokia Sanogo : Dans le contexte de la mobilisation générale et mondiale contre le Covid-19, il y eu une mobilisation pour une réelle prise en compte des ressources de la Médecine Traditionnelle (RMT) dans la lutte contre la pandémie. Pour cela, nous avons opté pour une collaboration effective et une communication efficace et adaptée avec entre le système traditionnel et le système conventionnel de santé, afin de contribuer à briser des barrières d’ordre socio-culturel, liés aux habitudes, aptitudes et croyances des populations.
Il s’agissait de renforcer la riposte contre la pandémie de Covid-19 par la prise en compte effective des Ressources de la Médecine Traditionnelle (RMT) notamment les Praticiens de la Médecine Traditionnelle (PMT) : Mettre en place une collaboration effective et une communication efficace et adaptée entre le système traditionnel et le système conventionnel de santé ; Recenser les traitements traditionnels, utilisant surtout les vertus thérapeutiques des plantes médicinales, peuvent également contribuer à la prise en charge intégrée de la pandémie
NYELENI Magazine : Et qu’est-ce qui a marché ?
Rokia Sanogo : Ce qui a marché, a été la forte mobilisation des praticiens de la MT à travers la FEMATH dans la coordination nationale de la lutte contre le Covid-19; Lerépertoire de la MTA et les plantes médicinales à potentialités thérapeutiques pour contribuer à la prise en charge des personnes atteintes par la Covid 19 pour les propriétés antivirales, antitussives bronchodilatatrices, antioxydantes et de renforcement du système immunitaire. ; Les données de sécurité, l’efficacité et la qualité sur les plantes médicinales qui composent les recettes traditionnelles. Le Sirop Balembo a été proposé pour la prise en charge de la toux sèche associée à la Covid 19, grâce au partenariat avec l’ordre des pharmaciens du Mali. A travers l’Afrique, il y eu des essais cliniques avec des MTA, qui ont démontré une très bonne efficacité. D’autres recherches sont en cours.
NYELENI Magazine :Quel genre de collaboration avez-vous avec les thérapeutes traditionnels ?
Pr Rokia Sanogo : Il y a eu la prise en compte des Praticiens de la Médecine Traditionnelle et des Pratiques traditionnelles dans les activités de prévention et de riposte. Il y a eu des échanges avec les autorités et le personnel socio sanitaires, la mise en place des cadres de concertation entre les deux systèmes, des activités de renforcement de capacités des PMT. Il y a eu ensuite l’implication des PMT dans les équipes et instances nationales de lutte contre le Covid-19. Les points focaux ont été les médecins responsables de la riposte au niveau des districts sanitaires. Toutes les activités seront effectuées à la demande et en collaboration la FEMATH. Le DMT a assuré l’assistance technique, la facilitation des échanges avec les responsables du système et la participation aux activités de renforcement de capacités. Les activités au niveau du terrain ont été organisées par la Fédération Malienne des Associations de Tradithérapeutes et Herboristes (FEMATH) et les personnels socio sanitaires.
NYELENI Magazine : Quel rôle spécifique les Accoucheuses Traditionnelles peuvent jouer réduire la mortalité maternelle et néonatale.
Pr Rokia Sanogo : La démarche d’implication des AT peut contribuer à diminuer les premiers deux retards sur les quatre qui peuvent empêcher aux femmes à risque de recevoir les soins nécessaires pour sauver leurs vies et celles des nouveaux nés. Au niveau des villages, la détection rapide des signes de danger par les AT et la prise de décision rapide concernant la référence des femmes en détresse obstétricale doivent être supportées par des moyens de transport adéquats. Pour l’efficacité du système, une réponse rapide, de bonne qualité et à un coût abordable aux différents niveaux du système de santé conventionnel est enfin indispensable.
Il y a lieu de recommander de
Prendre en compte le renforcement de la collaboration entre AT et personnel socio-sanitaire, pour améliorer la santé maternelle et infantile ; Rendre disponibles des moyens de transport adéquats entre les villages et les CSCom ; Soutenir ce processus par une vaste campagne de plaidoyer et de dialogue politique pour la prise en compte des AT dans la lutte contre la mortalité maternelle et néonatale.
L’ouvrage de capitalisation (à voir sur aidemet.org) est « La Guerre des femmes », traduction de Musow kele en Bamanan kan. Au Mali : quand une femme meurt en donnant la vie (au cours de l’accouchement), on dit qu’elle est morte dans la « Guerre des femmes ».
Cette expérience effectuée au Mali, a été retenue comme « Bonnes pratiques d’implication des Accoucheuses Traditionnelles (AT) dans le système de gestion des urgences obstétricales au Mali » au « FORUM DE LA CEDEAO DES MEILLEURES PRATIQUES EN SANTE » à Accra au Ghana du 23 au 25 Octobre 2018.
NYELENI Magazine : Vous êtes à notre avis la scientifique qui a reçu le plus de distinctions, pouvez-vous nous en parler ?
Pr Rokia Sanogo : Je porte l’héritage familial. Je suis petite fille d’un fameux Praticien de la Médecine Traditionnelle « BAMANAN WALIJU » de Sofolosso, à côté de Yangasso. Avec la clairvoyance de mon père grand voyageur commerçant de Cola et les bénédictions de mes mères ménagères, j’ai reçu une bonne éducation et j’ai pu faire un parcours scolaire et des formations financés par l’État malien. Mon parcours de formation post universitaire, de carrière dans la formation et la recherche a été possible grâce au soutien multiforme de mon époux et conseiller de tous les jours Dr Sergio GIANI.
Les distinctions sont le fruit de l’engagement, de l’effort, du travail au service de la valorisation de notre patrimoine culturel en matière de santé. Il s’agit pour moi, de donner plus de visibilité aux nombreux résultats obtenus par nos illustres prédécesseurs, qui ont été à l’avant-garde de ce domaine. Mon ambition, c’est porter haut le flambeau de la valorisation des RMT pour contribuer au renforcement des systèmes locaux. C’est dans ce contexte que je suis membre d’une dizaine de sociétés savantes et réseaux de chercheurs, Membre titulaire de l’Académie des Sciences du Mali (2018), de l’Académie mondiale des sciences (IWAS) en 2023 et j’ai eu des distinctions :
- Prix “Antonio Scarpa”, 1996 ; Diplôme de reconnaissance CNOP et Caducée d’Or de recherche SYNAPPO, 2009 ;
- Prix Régional KWAME NKRUMAH de l’Union Africaine pour les femmes scientifiques, 2016
- Prix Next Einstein Forum (NEF) pour la meilleure femme en recherche en Pharmacie, Médecine et santé, octobre 2019; Lauréate du premier PRIX GALIEN AFRIQUE pour le meilleur produit issu de la pharmacopée africaine, décembre 2021.
- Chevalier des Ordres Internationales des Palmes Académiques du CAMES, novembre 2022.
- Lauréate du Premier Prix de la 2ème édition du Prix Macky SALL pour la Recherche comme coordinatrice du pour le projet « Plateforme de recherche et d’innovation pour la production et la commercialisation de médicaments à usage humain et vétérinaire, issue de la Pharmacopée africaine ».
NYELENI Magazine : Dans votre domaine de travail, vous êtes une Nieleni, combien de filles avez-vous pu mettre sur votre voie ?
Rokia Sanogo : Malgré l’engouement de nombreuses filles à vouloir me suivre, pour le moment, je suis à la tête d’une équipe de jeunes enseignants-chercheurs hommes. Mon premier assistant vient d’être admis comme maitre de conférences agrégé en Pharmacognosie, du CAMES au concours de 2022. J’aimerais bien mener le plaidoyer auprès des autorités en faveur des mesures d’accompagnement pour nous permettre de retenir plus de filles et de femmes dans le domaine de la formation, la recherche dans le domaine des sciences de la santé.
NYELENI Magazine : quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans ce travail de recherche ?
Pr Rokia Sanogo Les difficultés premières, concernent les moyens limités pour mener la recherche. Nous aimerions inviter nos hautes autorités à investir dans ce secteur hautement stratégique. Il y a aussi la stigmatisation et la personnalisation du domaine. Dans le domaine de la valorisation des ressources de la MT l’urbanisation, la monétisation, la banalisation et la publicité tapageuse par des vendeurs de faux espoirs, constituent un vrai danger contre la santé publique.
Maïmouna TRAORÉ