SAFIATOU BA DICKO, LA KATOISE, AUTEURE DE PLUSIEURS OUVRAGES INSPIRÉS DE NOTRE VÉCU

Safiatou Ba Dicko est née à Kati, au Mali. Elle est diplômée de l’École normale supérieure où elle obtient sa maîtrise en Anglais. Elle passa sa vie professionnelle à l’USAID, l’ICRISAT (Institut international de recherche sur les cultures des zones arides et semi-arides des tropiques), Trade/Mali (Chemonics international). En 2013, elle quitte son pays pour Washington, D.C. aux USA où elle travaille au siège de la Banque mondiale. Safiatou est mariée et mère de trois enfants. Safiatou est auteure de plusieurs ouvrages. Elle est membre du Réseau des femmes écrivaines du Mali et de la diaspora (RFEMD) et également membre du Parlement des Ecrivaines Francophones (PEF). Safiatou est lauréate du Prix Massa Makan Diabaté de la Rentrée Littéraire 2018 du Mali avec son roman Émotions violentes édité par Jamana, Mali. Et en Octobre 2020 elle reçoit la distinction de ONU femme Mali pour sa créativité littéraire.

NYELENI Magazine : Qui est Safiatou Ba ?

Safiatou Ba :  Merci d’abord pour l’opportunité que vous m’offrez ainsi. Un vrai honneur pour ma petite personne. Je suis Safiatou Ba, épouse Dicko. Je suis une enfant d’une famille polygame comptant de nombreux enfants. Je suis une femme heureuse dans la vie car je suis très très riche ; riche en ce sens que je suis issue de quatre grandes familles : Ba, Thiam (mes familles biologiques), Haïdara, Konaré (mes familles d’adoption). Ma richesse, ce sont ces grandes familles. Riche car, l’être humain est et reste ma plus grande richesse. Je mène une vie tranquille aux côtés d’un homme qui me respecte et me couvre d’amour. Nous avons trois enfants. Toute ma vie n’a été qu’amour ! Je remercie le bon Dieu pour cela.

NYELINI Magazine : Quel est votre genre littéraire et combien de livres avez-vous déjà écrits ? 

Safiatou Ba : Mon genre est le roman. J’ai à mon actif six livres dont: “L’Envers du décor”, un recueil de nouvelles édité en 2014 par Jamana (Mali); “Les Fantômes du passé” (roman), édité en 2017, par Presses panafricaines (Canada); “Émotions violentes” (roman), édité par Jamana en 2018, Prix Massa Makan Diabaté de la Rentrée Littéraire 2018 du Mali;  “Ah ! nos maris, ces grands inconnus” (roman), Editions Afrikana, Canada, 2019; “Voix Intérieure” (recueil de poèmes), Figuira Editions, Mali, 2020; ”Ah! Nos épouses, ces mantes religieuses” (roman), Editions Afrikana, Canada, 2021. J’ai également contribué à des ouvrages collectifs :  Extrait “Émotions Violentes” – page 201-206, “Voix d’écrivaines francophones”, Anthologie, “Regain de lecture”, Corsaire Éditions, France, 2019; “Elan” – Poèmes à un jeune soldat inconnu : recueil en hommage aux soldats disparus, Cauris Editions, Mali, 2020.

NYELENI Magazine : Qu’est-ce qui vous inspire ? Parlez-nous d’une de vos journées typiques de créatrice.

Safiatou Ba : Notre vécu même est une inspiration. Il y a de la matière. C’est en cela que la société africaine est très riche pour un écrivain. Ma propre histoire est une grande inspiration. Pour la petite histoire, J’ai perdu ma mère à l’âge d’un an et demi alors qu’elle n’avait que 41 ans, un âge où on croque la vie à belles dents. J’ai été d’abord élevée par ma tante maternelle à Kolokani, à 120 km de la capitale, dans la famille Haïdara. Rabiatou Thiam, c’est le nom de ma tante, était mariée à un grand marabout, Karamoko Issa Haidara (mon deuxième garçon porte son nom). Il y avait au moins 40 talibés à la maison. Je n’ai su, que beaucoup plus tard, à l’âge de 12 ans, qu’ils n’étaient pas mes parents biologiques. Ma tante inventait même des histoires où elle était enceinte de moi. Ça, c’est extraordinaire! (j’en ris beaucoup maintenant). J’ai eu une enfance heureuse et cette période me manque énormément. J’étais traitée comme une princesse, élevée dans l’amour. Ensuite, j’ai rejoint ma grande sœur Adame qui, constatant qu’avec notre tante, j’étais trop gâtée (au vrai sens du mot), m’a récupérée – selon ses dires (rires). Aux côtés de Adame et de son mari Alpha Oumar Konaré, à Bamako et de toute la famille Konaré, j’ai appris le sens du travail, l’honnêteté, la loyauté, le partage, le don de soi. Ne trouvez-vous pas que tout ça c’est beau et est source d’inspiration et mérite d’être écrit ?!  D’ailleurs, cette histoire fait partie de mes projets. C’est un devoir pour moi de l’écrire afin de dire merci et de leur montrer toute ma reconnaissance et ma gratitude.

Le dernier ouvrage de Safiatou

Donc, pour répondre à la deuxième partie de votre question, je n’ai pas une journée particulière de création. Ma journée c’est comme toutes les autres journées, mais je reconnais qu’il y a des moments où je suis plus inspirée. Par exemple, dans mon recueil de nouvelles : “l’Envers du Décor”, la nouvelle “la Folle de… “, Je l’ai écrite en une journée. Ce jour-là, je ne m’étais pas du tout réveillée avec l’intention d’écrire. J’ai vu une malade mentale sous un pont et qui tenait farouchement son enfant que l’on essayait de lui prendre…. Alors, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps et au lieu de dormir, je me suis mise à écrire. En 3 heures de temps, j’avais fini. C’est l’histoire où l’éditeur a le moins corrigé contrairement à d’autres que j’ai mis du temps à écrire.

NYELENI Magazine : Quelle est votre motivation ?

Safiatou Ba : Je suis une passionnée de l’écriture. Depuis ma petite enfance, j’ai toujours écrit des histoires de mon terroir, de la vie de mon entourage, ma famille. J’avais toujours un cahier où je griffonnais des petits poèmes, une citation, un proverbe, des contes. Ma motivation n’est autre que je connais beaucoup d’histoires. Je suis quelqu’un qui aime la foule, les rencontres, la vie associative. On se raconte des histoires, des faits divers. Je me suis dit alors, pourquoi ne pas les écrire et les partager avec d’autres qui vivent les mêmes situations, les mêmes réalités. Et pourquoi ne pas inspirer d’autres à relater des histoires similaires. Ainsi, ce sera notre façon d’aider à se débarrasser de certains poids car on n’est pas les seuls à les vivre.

NYELENI Magazine : Quels sont les thèmes que vous abordez dans vos livres ? Quel message voulez-vous convoyer en écrivant vos histoires ?

Safiatou Ba: Les thèmes que j’aborde dans mes livres portraient la femme souvent victime des maux de la société environnante : la trahison, la violence conjugale, la stérilité féminine, le mariage forcé, etc.  Quelles leçons devront-elles en tirer ?  Devront-elles cesser de rêver et d’exceller ?  Quels rôles pour ces femmes, mamans, sœurs, tantes, et grande mère pour changer la façon de voir et d’agir des hommes, maris, frères, oncles et grands-pères ? C’est l’objectif de mon écriture en ce qui concerne les femmes. Mais je tiens à préciser ici que mon objectif n’est pas de parler spécifiquement que des femmes et de la condition féminine. En lisant entre les lignes, on se rend compte que mes histoires sont focalisées sur la société en général où homme et femme peuvent être mauvais selon les situations. C’est vrai que la société africaine ne fait pas la part belle aux femmes. Moi, je refuse la division de la société homme/femme. Pour moi, la société est un tout où chacun a un rôle à jouer selon son sexe. Donc, de ce fait, mon combat est que les femmes doivent arrêter de se dire qu’elles sont inférieures.

Pour moi, autant un homme est capable, autant une femme l’est. Tout est une question de personnalité, d’objectif dans la vie, savoir ce que l’on veut. C’est vrai que l’éducation joue un rôle important dans la vie de l’Homme. Nous, qui avons eu la chance d’aller à l’école, devons tout faire pour éduquer nos enfants en leur montrant la conduite pour la vie sans tenir compte des préjudices fille/garçon, ou beaucoup de femmes en avaient été victimes. Si les hommes nous maltraitent, on doit se dire que nous sommes les seules maitresses de notre destin. C’est à nous de nous battre pour donner un sens à notre vie.

NYELENI Magazine: Comment ?

Safiatou Ba: À travers l’éducation, se former, travailler dur. Pour moi, la vie n’a pas d’autres secrets que le travail, qui seul fera de nous des femmes épanouies, indépendantes et équilibrées.

NYELENI Magazine : Quel est le titre de votre dernier ouvrage et de quoi parle -t-il ?

Safiatou Ba : ” Ah ! Nos épouses, ces mantes religieuses” est le titre de mon dernier ouvrage paru en mars 2021. Je brosse le portrait et le destin bouleversant des hommes, victimes et abandonnés aux griffes de leurs braves épouses. Vous savez, nous les femmes, nous sommes souvent prisonnières de notre égoïsme pour voir que nous ne sommes pas les seules victimes. Les hommes aussi ont leurs souffrances. Ils parlent moins que nous les femmes. Donc, j’ai voulu être juste en me mettant à leur place, en leur tendant mon oreille pour écouter leurs histoires. Loin de moi l’idée de me prendre en citoyenne du monde en venant au secours des hommes. Je sais que les femmes vont me faire un procès avec cet ouvrage mais je pense qu’il est primordial, qu’a un certain moment, il faudrait faire des arrêts, regarder dans le miroir et faire son auto-critique. Et sans vous mentir je suis venue à la conclusion que nous avons tort de croire à cette fausse idée de femmes, que nous sommes les seules victimes. Ma chère, la vérité est pourtant ailleurs et bien souvent trop cruelle et dure à avaler. Nous les femmes, nous ne sommes pas des saintes non plus.

Par ce livre, j’interpelle les femmes à se ressaisir. Nous observons actuellement, surtout dans la capitale, des comportements qui tranchent avec la décence. Le plus inquiétant, c’est que le phénomène touche beaucoup plus les femmes que les hommes. Hier conservatrices de nos cultures ancestrales, la plupart de nos sœurs se livrent de nos jours à des pratiques ignobles qui vont à l’encontre de nos bonnes mœurs. C’est triste et très dommage.

NYELENI Magazine : Quel est votre secret pour concilier vie de famille, écriture et vie associative?

Safiatou Ba :  Je m’organise. C’est à Washington que j’ai vraiment pu écrire. Le trajet pour aller au bureau, me prend 2 heures dans la journée (une heure à l’aller et une heure au retour). Je le mets à profit en ayant mon calpin dans mon sac. Je vais au fond du métro et je prends note. Le week-end, je me mets à l’ordinateur.

Aussi, ai-je la chance d’avoir un mari qui m’aide et me comprend beaucoup. Il me laisse m’épanouir et m’aide dans les travaux ménagers. Je profite de votre magazine pour lui faire un clin d’œil et le remercier du fond du cœur. Sans son aide, je n’en serai pas là aujourd’hui. Avoir un mari conciliant, compréhensif, disponible est une bénédiction. Alors, je rends grâce à Dieu.

NYELENI Magazine : Pouvez-vous, nous parler des problèmes que vous rencontrez en tant qu’écrivaine vivant loin de son pays ?

Safiatou Ba : Mon grand problème, est que je ne suis pas bien connue dans mon pays, le Mali en tant qu’auteure et cela m’attriste beaucoup. Aucun de mes livres n’a fait objet de lancement au Mali. J’aurai tellement aimé que mes compatriotes me lisent ! Etant loin du Mali, je manque à beaucoup d’évènements sur le livre au Mali et même en Afrique. Cela me reste à travers la gorge.

NYELENI Magazine : Quel conseil pouvez-vous donner aux écrivains-nes en herbe ?

Safiatou Ba : de croire en elles-mêmes, de se faire encadrer, d’aller à la rencontre de leurs ainés dans l’écritures et de travailler, travailler et encore travailler.

NYELENI Magazine : Vous aimez écrire, donc forcément vous devez aimer la lecture.  De quels livres raffolez-vous? 

Safiatou Ba: Je lis tout ce qui tombe sous la main. C’est vrai que j’ai un penchant pour les romans. Jeune, à l’école, nous avons eu des professeurs qui nous forçaient à lire. Je profite de votre magazine pour remercier mes premiers professeurs et mes parents qui m’ont donné le gout de la lecture. Aussi, ai-je grandi aux côtés de deux écrivains maliens, des historiens, Alpha Oumar et Adame Ba Konaré.

Je n’avais pas droit aux jouets. Mes cadeaux étaient des livres. Mes sorties étaient le centre culturel français chaque samedi. J’y restais pour lire et j’en ramenais à la maison pour la lecture de la semaine. Je ne connaissais pas de boite de nuit, ni de cinéma. J’étais autorisée à regarder la télévision seulement les samedis soir. Je ne regrette point aujourd’hui et je leur dis grand merci. Et si c’était à refaire, je leurs dirais d’être encore plus sévères, rires.

NYELENI Magazine : En Afrique, les femmes ont souvent recours à des plantes pour des soins ou pour la séduction, pourquoi cette pratique ?

Safiatou Ba : D’abord la femme par nature, aime séduire. Qui parle de séduction, parle forcement de beauté. La beauté ne se limite pas seulement aux traits physiques. Elle est pour moi, hygiène et propreté, élégance, classe, bonne odeur. Je donne un exemple concret, le  vétiver (Babi ou Gongolili), beaucoup l’utilise au Mali, surtout pour les nouvelles mariées car on lui donne des vertus aphrodisiaques. Mais au-delà de ces vertus, cette plante, je vous confirme, elle nettoie, donc joue un rôle de purification. D’ailleurs je faisais partie du club vétiver du Mali. Ce club s’est plutôt lancé sur les vertus scientifiques. Cette plante est souvent utilisée pour lutter contre l’érosion. Donc, vous voyez les deux se rejoignent. On met également dans l’eau pour sa bonne odeur et parce qu’elle nettoie également. Donc, elle a également des vertus médicinales.

NYELENI Magazine : Qu’est-ce que cela peut avoir comme impact sociologique et psychologique sur les femmes ?

Safiatou  Ba: La liste de l’impact est longue : la confiance en soi, le bien-être intérieur, l’assurance, le souci de plaire plus leur motivant davantage dans leur rôle d’épouse, de mère, d’éducatrice. Pour ma propre expérience, mon mari me disait que chaque fois qu’il voyageait pour ses missions, il avait l’impression que tous les oreillers des hôtels sentent mauvais car manquant l’odeur de mon encens. Vous voyez, ça fait une différence, même si c’est faux, quelle femme n’aimerait pas entendre un tel commentaire de son mari, rires.

NYELENI Magazine : Pourquoi est-ce que cette pratique persiste dans nos sociétés africaines malgré le modernisme aujourd’hui ?

Safiatou Ba: Parce qu’elle est culturelle. Ça fait partie de notre éducation, c’est comme l’initiation du petit garçon. Les filles aussi chez nous sont initiées depuis leur jeune âge. Nos mamans nous l’ont enseigné, nous aussi on la reproduit. Donc elle est ancrée, elle fait partie de notre ADN. Donc tout ce qui touche à la culture, va forcément persister. Souvent aussi, et c’est dommage, je crois, c’est une réponse à la détresse des femmes qui se sentent menacer dans leur foyer. Recourir à ces pratiques leur donne une confiance. Tant mieux alors.

NYELENI Magazine: Projetez-vous d’écrire d’autres nouvelles ?  Des projets en vue ?

 Safiatou Ba : Comme je viens de le dire, autant j’aime lire, autant j’aime écrire. Pour la petite histoire, deux histoires de « l’Envers du Décor » ont été écrites depuis longtemps, quand j’étais jeune, au lycée. J’écrivais mais je ne pensais pas les publier un jour. N’eut été l’encouragement de mon neveu, Birama Konaré (écrivain aussi), le manuscrit serait peut-être resté au fond du tiroir. C’est pour vous dire, qu’il faudrait savoir qu’entre écrire et publier, il y a un long chemin à faire surtout pour quelqu’un qui travaille dans un organisme international où le rythme de travail est assez fort, sans compter la vie de famille. Oui, des projets, je n’en ai pas mal. Le temps reste pour le moment mon plus grand ennemi, rires.

NYELENI Magazine : Votre mot de la fin ?

Safiatou Ba: Encore un grand merci pour l’opportunité offerte. J’espère que ça ne sera pas la dernière. Un grand merci à toute votre rédaction et bon vent à Nyeleni. Un grand merci à tous mes lecteurs. C’est eux qui me motivent.

Je formule le vœu que la plume des écrivains maliens continue longtemps à bercer les lecteurs.

Propos recueillis par Maïmouna TRAORE

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