L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) est désormais dirigée, depuis le vendredi 12 octobre 2018, par la Rwandaise Louise Mushikiwabo. A Erevan, en Arménie, elle a repris le flambeau à Mme Michaëlle Jean qui s’est battue jusqu’au bout pour un second mandat. Finalement, un consensus aurait été trouvé à l’occasion du huis clos entre les chefs d’Etat et de gouvernement membres de plein droit. Ainsi, le Rwanda revient de fort belle manière dans la famille francophone qu’elle boude depuis le génocide qui y a eu lieu du 7 avril 1994, jusqu’au 17 juillet 1994.
Soutenue par l’Union africaine (UA), la France et la Belgique voire le Canada (pays de sa concurrente) selon certaine indiscrétions, la Rwandaise Louise Mushikiwabo a été élue le 12 octobre 2018 secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Ministre des Affaires étrangères de son pays depuis 2009, Louise Mushikiwabo a joué un rôle clé dans l’expansion diplomatique du Rwanda, notamment en Afrique où il compte de nombreux alliés comme le Maroc, le Gabon, la Guinée, le Bénin, le Mali (qui a soutenu la Canadienne jusqu’au consensus), le Tchad, le Sénégal…
Un rayonnement diplomatique qui lui a valu des soutiens fermes pour sa candidature à la tête de l’Oif. Dix ans après la réforme qui le relégua au second plan dans l’enseignement, l’administration et l’ensemble de la fonction publique, le français effectue un discret retour dans ce pays des Grands Lacs avec cette élection de la très influente Mme Mushikiwabo.
Dans son pays, presque tous les établissements d’enseignement ont été contraints d’opérer une grande mutation en 2008 quand, à la surprise générale, le gouvernement a annoncé que l’enseignement serait désormais dispensé en anglais.
«Nous donnons la priorité à la langue qui rendra nos enfants plus compétents et servira notre vision de développement», avait défendu Paul Kagame la veille d’un sommet de la Francophonie au Québec (Canada). Et il n’avait pas tort puisque le français est en déclin dans la communication et dans les affaires.
Le président rwandais prenait aussi une belle revanche sur la France dont le rôle est plus que jamais controversé dans le génocide qui a coûté la vie un peu plus d’un million (800 000, selon une estimation de l’ONU) de Rwandais entre avril et juillet 2004.
Tout comme il pouvait jubiler après le plébiscite du chef de sa diplomatie. «Merci infiniment à tous nos frères et sœurs africains qui nous ont soutenu et à tous les pays à travers toute la Francophonie qui ont placé leur confiance dans notre candidate. C’est un moment historique pour nous tous, Rwandais et Africains, qui démontre, une fois de plus, qu’il n’y a pas de défis insurmontables face à une Afrique unie et déterminée. Toutes mes félicitations à toi, Louise Mushikiwabo», a déclaré le président rwandais sur son compte Twitter.
Malgré un bilan qui est tout à fait honorable le «cri du cœur de cette femme blessée» (Michaëlle Jean) n’aura rien changé au scénario qui se dessinait à Erevan depuis le début. «La secrétaire générale sortante a fait un excellent travail. Tout le monde l’a reconnu, on l’a applaudie. Cependant, il y a une candidature portée par l’Union africaine. Et le Niger ne peut pas se dérober aux décisions de l’UA», avait confié aux médias le chef de la diplomatie nigérienne à la veille du sommet d’Arménie.
«En Arménie s’est jouée une vraie mascarade. Michaëlle Jean, qui durant son mandat a réussi à donner un nouveau souffle à la Francophonie a été poussée à la sortie par la France…», proteste une activiste africaine sur les réseaux sociaux. Comme elle, de nombreux observateurs pensent que Michaëlle Jean a été sacrifiée sur l’autel de «la volonté de la France de se racheter vis-à-vis du Rwanda et de se donner bonne conscience quant au génocide».
Difficile de leur donner tort quand l’on sait que le régime de Paul Kagame a tourné le dos à la Francophonie (à cause de son contentieux avec la France pour sa responsabilité dans le génocide) et le pays a banni le français comme langue officielle pour adopter l’anglais.
«Depuis le départ, le président (Emmanuel Macron) est convaincu que, si elle n’est pas portée par une voix africaine, la Francophonie ne sera plus pertinente. Mme Jean a d’énormes qualités, mais elle n’est pas perçue sur le continent comme une voix africaine», aurait souligné un diplomate cité par la presse française alignée derrière l’Elysée et le Quai d’Orsay.
D’autres diront aussi que Mme Michaëlle Jean a été victime de son franc-parler. Une liberté de ton qui dérange beaucoup de dirigeants, surtout en Afrique où la démocratie n’est que souvent une farce politique pour se donner une bonne image aux yeux de l’Occident.
Pendant son mandat, Michaëlle Jean est restée fidèle à elle-même, fidèle à ses convictions. Femme libre, elle a toujours dit haut et fort ce qu’elle pense quitte à déplaire, quitte à briser les codes préétablis dans ce genre d’organisation comme l’OIF.
«Nous sortons absolument en ordre, plus que jamais dans un parfait consensus qui nous a valu de choisir notre sœur Louise Mushikiwabo du Rwanda… Nous avons quand même rendu un hommage appuyé à Michaël Jean pour son action à la tête de l’Organisation depuis que nous l’avons élue en 2014 à Dakar. Elle a fait du bon travail», a déclaré le président Ibrahim Boubacar Kéita à la fin du sommet d’Erevan (10-12 octobre 2018). «Aujourd’hui la décision africaine a été de confier à une de nos sœurs les soins de porter encore plus haut les couleurs de la Francophonie. Et connaissant Louise Mushikiwabo je n’en ai pas le moindre doute. Je crois que les grands chantiers qui ont été ouverts pendant le mandat de Michaël Jean vont être poursuivis dans tous les domaines, singulièrement les domaine de l’éducation, de la promotion du genre et l’autonomisation des femmes», a poursuivi IBK. Et, s’est-il dit convaincu, c’est «tout ce qui va faire que la solidarité du monde francophone sera effective et vive autour des communautés et va être renforcée».
Consensus ou départ forcé voire trahison, il est claire que cette élection a laissé des traces au sein de l’Oif et que l’amertume et la frustration qui en découlent ne manqueront pas de se manifester tôt ou tard. Surtout que cette victoire rwandaise suscite également beaucoup de critiques.
Et cela même si presque tous les observateurs reconnaissent aussi que c’est une autre «Grande dame» qui a désormais les rênes de la francofolie, pardon, de Francophonie !
Moussa Bolly