MGF : Mme YEBA BALLO, UNE ANCIENNE EXCISEUSE, JETTE DÉFINITIVEMENT LE COUTEAU

Au cours de la 15 ème  édition d’Oxyjeunes, tenue  à Koulikoro du 6 au 10 septembre 2021, les enfants parlementaires ont effectué une visite de terrain dans le village de Kossaba, une localité située dans la commune de Doumba à quelque 30 kilomètres de Koulikoro. L’objectif  de cette visite était d’établir  un dialogue intergénérationnel sur le thème de la pratique de l’excision, le mariage précoce et la scolarisation des filles, en somme les violences basées sur le genre (VBG). Les discussions étaient conduites par le Parlement des enfants, l’ONG TAGNE et la Direction régionale de la Promotion de la femme, de l’Enfant et de la Famille (DRPFEF), avec l’accompagnement de l’UNICEF.

Au village, un débat franc et sans tabous sur les pratiques ancestrales telles que l’excision, le mariage précoce afin de s’imprégner de ces réalités.

La commune de Doumba est réputée pour son attachement à cette pratique qu’elle se veut même protectrice. Cependant, la grande surprise a été le témoignage d’une ancienne exciseuse, Mme Yeba Ballo qui a donné un autre ton. À la question de savoir quelles sont les réalités de l’excision, Fatoumata Diabaté, animatrice à l’ONG TAGNE qui a travaillé sur plusieurs programmes concernant les violences basées sur le genre (VBG) dira que l’excision remonte à plusieurs siècles. « C’est une tradition qui a été perpétuée, sinon elle n’a aucun avantage sur la vie de la femme, ni du côté sanitaire, ni celui du mariage ou autres».

Au contraire, soutient-elle, sa pratique pose énormément de problèmes comme les difficultés liées à l’accouchement, les maladies infectieuses, etc. Sur la même question, Mme Bocoum, va plus loin pour expliquer que les problèmes liés à ces pratiques et conséquences sont incalculables sur la vie des femmes. Pour elle, la pratique n’est basée sur aucun fondement. « Dans le cadre de la sensibilisation, nous avons mené des enquêtes même au niveau des religieux pour savoir si la pratique de l’excision avait un fondement religieux. Les résultats sont unanimes : la religion n’y est pour rien. Même à Tombouctou, un des bastions de l’islam la pratique de l’excision n’est pas connue. Les conséquences de l’excision sont énormes. Nous avons vu des accouchements difficiles, des femmes souffrantes de fistule, qui est parfois même la cause des divorces », lance Sitan Traoré, une participante. Et d’ajouter: « de nos jours, nous avons abandonné la pratique », s’est-elle félicitée.

Rencontre avec Yeba Ballo, une ancienne exciseuse. 

C’est au cœur de ce débat que la grande surprise se produira. Mme Yeba Ballo, la soixantaine révolue,  une ancienne exciseuse de son État, qui a définitivement abandonné le couteau, après ses propres expériences sur la pratique et de nombreuses sensibilisations reçues, demande à prendre la parole. Inutile de rappeler qu’elle est  un témoin vivant, un acteur incontournable de cette pratique sur laquelle l’anathème était jeté ce jour. Elle  prend son courage à deux mains, brave les regards curieux, parfois accusateurs et brise le silence. L’assistance retient son souffle. Que va-t-elle faire ? Osera-t-elle parler de ce sujet aussi tabou devant tout le village ? Pour rassurer les plus sceptiques, elle avance et s’immobilise dans le grand cercle naturellement formé  par l’assistance. On lui tend le micro, qu’elle saisit sans hésiter. On pouvait lire sur son visage l’expression d’une femme  résolue à rompre avec une pratique dont les souvenirs ne cessent de la hanter.

D’un ton calme, elle s’exprime : « Je suis Yeba ! Inutile d’en dire plus, tout le monde me connait dans ce village et même au-delà.  Dans notre tradition, c’est notre lignée qui était en charge de l’excision,  » lance-t-elle. Des murmures d’abrogation s’élèvent dans la foule. Elle observe un silence puis reprend son discours. « J’ai  définitivement abandonné le couteau après mes  propres expériences  sur la pratique et de nombreuses sensibilisations reçues. » un tonnerre d’applaudissements et des cris de victoire abasourdissent le village. En effet, depuis son  jeune âge, Yeba  a  assisté sa mère dans ses activités de mutilations génitales. Après la mort de cette dernière, elle  prend la relève conformément à la tradition. Elle mène la pratique pendant une dizaine d’années avant de l’abandonner.

Quelles sont les origines et les raisons de la pratique de l’excision ?

À cette question, qui mieux que Yeba pourrait y répondre?  Une réponse pourtant importante pour la sensibilisation sur les mutilations génitales. « C’est une pratique traditionnelle. Nous avons vu nos parents la faire et nous l’avons perpétuée de génération en génération. Cependant, je  ne peux donner aucune raison valable. Nous le faisons tout simplement par pure tradition, » explique-t-elle avec toute cette sincérité qui émanait de son regard.

À travers sa réponse, on comprend aisément que la pratique n’a aucune explication qui tient rationnellement.  À la question de savoir comment elle a appris la pratique de l’excision, elle dira: « Dans notre tradition, c’est notre lignée qui était en charge de l’excision. La pratique se transmet de mère en fille. C’est comme ça que j’assistais ma mère lors de ses pratiques pour ensuite prendre la relève. »

Mais ça, c’était avant depuis 5 ans, elle ne  pratique plus l’excision. «  Il y a longtemps, que j’ai rangé la lame pour être désormais à l’avant-garde du combat contre la pratique de l’excision dans ma communauté. Personnellement, j’ai fait dix ans  de pratique  lorsque ma mère n’était plus à mesure de le faire.»

Si Yeba comme elle-même aime à le dire « j’ai rangé la lame », c’est grâce à plusieurs programmes de sensibilisation sur les conséquences de la mutilation génitale. « En plus,  j’ai personnellement été témoin du mal que cela faisait aux filles qui passaient entre nos mains. Les luttes qu’elles menaient avec ma mère qui était fréquemment projetée contre le mur par ces innocentes  en proie de la douleur et plus tard moi-même, j’ai fini par me poser des questions sur  le bien-fondé de cette pratique, » a-t-elle confessé.

Si dans sa carrière d’exciseuse, Yeba n’a connu aucune perte en vies humaines, elle a cependant  rencontré quelques cas de complication. «Parfois, il arrivait que les  filles se blessaient grièvement à force de se débattre. Les organismes n’étant pas les mêmes, certaines saignaient  beaucoup, d’autres perdaient même conscience. Nous avons plusieurs fois eu recours au centre de santé pour arrêter certains saignements », s’est-elle exprimée avec un sentiment de regret.

Devant des centaines de personnes, Yeba lance un message à l’endroit de celles qui continuent la pratique. « Ma famille ne pratique plus l’excision, je demande à mes sœurs, des mères de famille, d’abandonner la pratique de l’excision. Engageons-nous à éradiquer ce fléau dans nos communautés pour sauver la vie de nos enfants, » a-t-elle supplié  les larmes aux yeux.

Aujourd’hui, elle consacre sa vie à la sensibilisation de sa population contre les méfaits de la pratique de l’excision sur la vie de la femme.

Une pratique inhumaine et dégradante.

Selon l’OMS, les mutilations génitales féminines recouvrent toutes les interventions incluant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre lésion des organes génitaux féminins qui sont pratiqués pour des raisons non médicales. Elles restent une violation des droits de l’humain à savoir entre autres :  droit à l’intégrité physique et mentale; droit universel à la santé; droit de ne pas subir de discriminations fondées sur le sexe ; droits de l’enfant (droit à atteindre tout son potentiel, droit à ce que son opinion soit prise en compte, etc.); droit de ne pas subir de traitements cruels, inhumains et dégradants; droit à la vie (lorsque la pratique entraîne la mort).

Ces droits sont protégés par un ensemble d’instruments juridiques internationaux et régionaux de protection des droits humains comme la Charte internationale des droits de l’Homme ; la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) ; la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, etc.

Comme Yeba, il faut impérativement  renoncer à cette  pratique culturelle qui offense et humilie les femmes. Son abandon  doit être une fierté et non pas une honte.

Amadingué SAGARA

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