Nous avons rencontré Aminata Dramane Traoré, femme active dans les activités sociales au Mali et dans le monde, avec les altermondialistes. Essayiste, elle est coordinatrice du Forum pour un autre Mali (FORAM), lors de son passage à Paris, mi-septembre 2015. Séjournant à Paris notre collaboratrice s’est entretenue avec elle sur certains sujets d’actualité : la crise malienne, les questions de sécurité et d’économie avec la crise en Grèce et le prochain sommet mondial pour le développement durable qui se tiendra à New York.
Nous sommes à la veille du Sommet mondial pour le développement durable qui se tiendra à New York. Comment expliquez-vous qu’après tant de programmes et d’années, nous en soyons toujours à essayer de mettre fin à la pauvreté, à la faim et aux conflits ?
C’est une question centrale qui renvoie à la nature du développement et à celle de la coopération bilatérale, multilatérale et internationale. Et ce mois-ci où les dirigeants de la Planète s’apprêtent à adopter l’agenda du développement de l’après 2015, est le juste moment de la poser partout, plus particulièrement en Afrique. Si le modèle néolibéral avait tenu ses promesses de développement et de partenariat mondial, le chômage, la pauvreté et la violence n’auraient pas pris l’ampleur qui les caractérise en ce moment. Avant d’être politique et économique, l’impasse est d’abord théorique et idéologique, notre tort étant notre entêtement à négocier en vase clos «entre Maliens», «entre Centrafricains», «entre Burkinabè» à l’heure où l’économie mondialisée sur des bases injustes met en péril la cohésion sociale, la paix et la sécurité humaine.
En 2001, un an après le lancement des OMD (objectifs du millénaire pour le développement), il s’est produit un fait majeur, les attentats du World Trade Center à New York qui ont permis au président des Etats-Unis d’Amérique, George W. Bush, de décréter «la guerre globale contre la terreur». La militarisation de la bande sahélienne se situe dans ce contexte. Les enjeux des interventions militaires étrangères sont éminemment économiques et géopolitiques. La situation actuelle à Anéfis (Mali) résulte d’abord du goulot d’étranglement créé par la France en se séparant de l’armée malienne au niveau de cette localité, et en instrumentalisant la rébellion touareg.
Pouvons-nous comparer cette opacité à celle des Institutions Financières Internationales (IFI) quand elles ont imposé les plans d’ajustement structurel dans les années 80 ?
Bien sûr. Tout se passe par-dessus la tête des citoyens ordinaires à qui l’on fait croire, comme en ce moment au Burkina Faso, que des élections transparentes et inclusives suffisent à faire leur bonheur. Cela se saurait au Mali où, après la révolution de Mars 1991, nous nous sommes comportés en «bon élève» de la communauté des «bailleurs de fonds». Cela se saurait également en Tunisie, le berceau des «printemps arabes» d’où les jeunes émigrent en grand nombre, quand ils ne vont pas rejoindre les rangs de Daesh.
Ce qui se passe en Grèce prouve qu’il est très difficile de faire plier les Institutions Financières Internationales. N’est-ce pas ?
La crise de la dette grecque fera date dans l’histoire du capitalisme mondialisé et financiarisé. Nos Etats africains se sont endettés au-delà de notre capacité de remboursement et, de surcroît, pour des investissements qui ne répondent pas souvent aux besoins prioritaires des populations. Désengagement de l’Etat, perte des entreprises publiques, chômage massif dont celui des jeunes diplômés sont autant de résultats de la médecine de cheval imposée par des institutions de Bretton Woods.
Comment peut-on faire comprendre les rouages d’un système aussi complexe ?
En conférant à la politique son sens. Il est grand temps de parler, en plus de l’alternance au pouvoir, d’alternatives au système inégalitaire et guerrier de la mondialisation capitaliste. C’est en cela que je reste sur ma faim dans le débat sur les transitions démocratiques, dont celle du Burkina Faso. Ce pays a le beau et redoutable privilège d’être celui de Thomas Sankara dont l’idéal de société revêt tout son sens dans les circonstances actuelles.
Les femmes peuvent-elles participer à ce changement de paradigme de développement ?
Les femmes constituent 50% de la population et de l’électorat. Elles peuvent faire la différence. Mais l’élite féminine souffre du même formatage que l’élite masculine qui les empêche d’être audacieuses et plus créatives. Elles sont outillées pour dénoncer les discriminations et les injustices internes à nos sociétés en perdant de vue la violence de l’économie mondialisée qui, indistinctement, broie femmes, hommes et enfants. Elles participeront activement au changement quand elles comprendront que nous avons un marché national, sous-régional et régional à construire. Nous ne pouvons pas continuer à tout importer, et à recycler les déchets des autres.
Comment concrétiser cette vision d’un Mali et d’une Afrique autonomes à la base, à travers l’économie ?
Nous pouvons et devons profiter des brèches ouvertes dans le système actuel. Ce sont les inégalités, le chômage, le gonflement des flux migratoires, le réchauffement climatique, le djihadisme pour marteler la nécessité d’un autre modèle de développement. La COP 21 qui se tiendra à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015, est une occasion pour l’Afrique et plus particulièrement le Sahel de rendre compte de la nécessité de changer de cap.
Je vous laisse conclure
Je n’ai jamais désespéré, ni de mon pays, ni de l’Afrique. L’inadéquation des politiques économiques imposées commence à être claire pour les Maliens, et les Africains d’une manière générale. Nous devons réfléchir ensemble au projet de société que nous voulons pour nous-mêmes, et tout mettre en œuvre localement pour que la croissance économique soit une réalité pour tous, compatible avec la préservation du lien social, la justice et la préservation de l’environnement.
Françoise WASSERVOGEL