LA PRESSE AU MALI: Un 4e pouvoir hypothéqué par des pratiques mafieuses

Le monde célèbre la Journée internationale de la liberté de la presse le vendredi 3 mai 2019 autour du «rôle des medias dans les élections démocratiques». Une opportunité de dénoncer les atteintes à cette liberté, mais aussi se remettre en question afin d’améliorer l’image de la presse. Une image loin d’être reluisante et réjouissante au Mali où c’est aujourd’hui un 4e pouvoir à l’influence hypothéquée par le viol permanent de l’éthique et de la déontologie sacrifiées sur l’autel des pratiques mafieuses.

Considéré comme l’un des principes fondamentaux des systèmes démocratiques et reposant sur la liberté d’opinion et d’expression, la liberté de la presse est relativement reconnue comme un acquis de la démocratie au Mali. Mais si la floraison des médias (journaux, radios, télévisions, médias en ligne…) vont dans ce sens, la pratique du métier est tout autre.

Et pourtant, c’est une presse responsable qui peut changer quelque chose dans ce pays et l’éloigner progressivement du chaos en mettant la pression sur la classe politique, la société civile, les collectivités et même sur les citoyens afin que chacun s’assume en toute responsabilité ! Malheureusement, la presse est infectée par les mêmes maux que la classe politique voire la société malienne dans son entièreté. Comment la presse peut-elle par exemple impulser le changement de comportements et de mentalités alors que les plumes les plus influentes sont presque toutes vendues au plus offrant ?

Laissant très peu de place à l’éthique et à la déontologie, la presse privée au Mali est aujourd’hui une véritable jungle où seules les mercenaires et les chasseurs de primes survivent. Et cela au point que même recruter un journaliste est comme un risque énorme. Les «meilleurs» fuyant le métier pour des cieux plus «cléments», la formation dans les écoles et l’encadrement dans les rédactions laissent à désirer.

«Le manque de ressources humaines de qualité est une sérieuse menace pour la presse», déplorait récemment un Directeur de publication qui a du mal à combler ses besoins de recrutement. Il est vrai que le niveau de formation dans les écoles du pays laisse toujours à désirer. Mais, au lieu de se former afin d’être de bons professionnels, les jeunes sont plutôt attirés par les avantages financiers du métier. Peu d’entre eux résistent encore à la tentation de faire fortune et de bénéficier d’un confort matériel au mépris du professionnalisme.

Au niveau de l’ORTM et de l’AMAP, le problème de ressources humaines n’auraient pas dû logiquement se poser s’ils avaient été gérés comme des pôles de formation avec toutes les compétences dont ils regorgeaient un moment. Mais la gestion des ressources humaines, surtout des carrières et des égos, a posé problème. Au lieu d’être motivées comme des atouts, les compétences ont été perçues comme une menace pour les responsables du moment, des concurrents qu’on a finalement pousser à la porte par des brimades, des frustrations… Dans le privé, une boîte comme Jamana a eu la même difficulté.

Notre chance a été que nous sommes tombés sur des aînés rigoureux et pointilleux qui nous ont aidés dans ces rédactions à parfaire notre formation théorique. Une chance que n’ont pas forcément les jeunes qui débarquent dans nos différentes rédactions, aussi bien dans le public que dans le privé.

 L’ombre de lui-même

«Difficile de les gérer parce qu’ils pensent à l’argent et au confort matériel qu’à un exercice professionnel du métier. Et ils vous regardent comme un extraterrestre si vous leur parlez d’éthique et de déontologie. Et lorsque vous faites preuve de rigueur dans leur encadrement, ils vous taxent de dictateur aigri… En tout cas, ici, nous n’acceptons de stagiaires qu’à nos conditions», explique le rédacteur en chef d’un hebdomadaire de la place.

D’une manière générale, la presse malienne est malade aussi bien dans l’exercice de la profession que dans la gestion des organes et de organisations professionnelles. Et cela parce que les fauves libérés par la démocratie ont aussi réussi à la dépouiller de son influence de 4e pouvoir en investissant largement dans le secteur des médias. Et cela à travers une floraison qui a plus discrédité les médias, au lieu de réellement enrichir le paysage en ouvrant largement la porte de l’exercice à tout le monde au mépris de l’éthique et de la déontologie.

Comment en vouloir aux autres (notamment les politiciens) si nous savons que nous avons-nous-mêmes ouvert les portes de la bergerie aux loups ! Nous avons chacun une part de responsabilité dans la décadence de la presse au Mali.

Mais, nous en voulons surtout à nos aînés, les pionniers de la presse libre au Mali qui ont eu toutes les opportunités de protéger la corporation par des garde-fous. Et cela afin d’empêcher qu’elle soit prise en otage par des politiciens et d’autres aventuriers aux desseins inavouables comme nous le voyons aujourd’hui.

Avec l’avènement de la démocratie, les dirigeants du pays mangeaient presque dans la main de ces pionniers. C’est dire qu’ils auraient pu obtenir d’eux toutes les garanties nécessaires à l’éclosion et au développement d’une presse libre, indépendante, responsable… Donc à l’édification d’un véritable 4e pouvoir indispensable à l’ancrage du processus démocratique. Hélas ! Ces relations, ils les ont le plus souvent utilisées pour satisfaire leurs propres intérêts, pour obtenir des avantages personnels, pour leur propre confort socioéconomique…

Leur combat aurait par exemple pu porter sur l’adoption et la mise en œuvre d’une Convention Collective de la presse. Sans être une panacée, la convention aurait été un outil pour mieux juguler le développement du secteur en empêchant par exemple la prolifération de faux titres qui étouffent les vrais organes par une concurrence déloyale. Nous nous rappelons, à nos débuts, d’un débat sur la nécessite d’une Convention collective des journalistes au Mali. Et ce que nous avons entendu ce jour de la bouche d’un aîné ne nous a plus laissé de doute : il ne faut pas compter sur eux pour défendre l’exercice de ce métier au profit de tous !

 

Une Maison de la presse symbole du discrédit sur le métier

Il ne faut pas non plus miser sur les organisations de presses pour ce faire. Prises en otage par des opportunistes, elles servent aujourd’hui à tout sauf à défendre le métier, à soigner son image par la promotion de l’éthique et de la déontologie. D’ailleurs comment s’attendre à ce qu’elles donnent le meilleur exemple alors que ceux qui les dirigent, dans la majorité des cas, utilisent cette responsabilité comme un fond de commerce à travers le trafic d’influence, le chantage… ?

De nos jours, au lieu d’être la vitrine d’une presse fière de jouer son rôle de 4e pouvoir dans un pays en décadence institutionnelle, la Maison de la Presse symbolise tous les maux qui discréditent la profession. Depuis des décennies, elle est devenue un centre d’enrichissement illicite aux dépends des médias sur fond de pratiques mafieuses. La Maison de la presse a été détournée de ses missions principales depuis belle lurette par des dirigeants qui s’en servent pour réaliser leurs ambitions personnelles et qui organisent leur succession de sorte que leurs arrières soient assurés.

Il est aussi claire que, pour paraphraser le doyen Sidi Coulibaly depuis Ouagadougou (Burkina Faso),  «on n’aura pas de presse responsable sans de Maliens responsables en nombre critique. Et, malheureusement, la plupart d’entre nous vivent et font les choses juste pour se faire remarquer afin d’aller à la mangeoire». Un cercle vicieux qu’il faut rapidement briser.

Il reste à espérer que l’ouverture (enfin) d’une vraie école de journalisme va résoudre en patrie l’équation des ressources humaines en mettant sur le marché des professionnels plus soucieux de l’image du métier que de leurs poches. Sans néanmoins oublier que ce n’est pas la formation théorique qui fait un bon journaliste, mais la pratique, la réalité d’un terrain miné par les tentations de toute sorte !

Moussa Bolly

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