Fatoumata Fathy Sidibé a travaillé dans les domaines du journalisme, du multimédia, de l’édition, du social, de l’associatif et de la politique. Auteure, conférencière, artiste peintre, entrepreneure, députée honoraire du Parlement bruxellois, Chevalier de l’Ordre de Léopold de Belgique. Elle est titulaire d’un Master en communication sociale et journalisme de l’Université Catholique de Louvain en Belgique. Elle vit et travaille à Bruxelles depuis 1980.
NYELENI Magazine : Qui est Fatoumata Fathy Sidibé ?
Je me définis comme une femme plurielle portée par la puissance de la liberté. La liberté de prendre et de tenir les rênes de sa vie. La liberté de briser les carcans du patriarcat. La liberté de refuser l’assignation à résidence identitaire. La liberté pour soi et les autres.
Je suis une femme engagée, une militante pour les droits humains et en particulier les droits des femmes. Je suis une femme qui a besoin de mouvements, de nouveaux projets, de se réinventer. Je suis une créatrice, créer c’est résister. Je suis résolue, enthousiaste, passionnée et optimiste. Ma devise : La vie est trop courte pour se contenter de n’en vivre qu’une seule.
NYELENI Magazine : Vous avez travaillé avec de nombreux magazines belges et étrangers. Avec le magazine français Amina, ce fut plus de 15 ans, en tant que correspondante permanente de presse en Belgique. Parlez-nous de cette expérience ?
Fatoumata Fathy Sidibé : Après mes études universitaires, j’ai occupé quelques tribunes libres dans le magazine Amina jusqu’en 1994 où, suite à un rendez-vous à Paris, le directeur de la publication, Michel de Breteuil, et moi avons décidé de créer une rubrique mensuelle, Lettre de Belgique. Ce fut le début d’une belle comme correspondante permanente en Belgique jusqu’en 2012. J’ai sans doute été la première journaliste en Belgique à mettre en avant le dynamisme des femmes africaines de la diaspora. Je peux dire que j’ai été un témoin, pendant vingt ans, de la participation des femmes africaines à la vie culturelle, politique, économique à Bruxelles. J’ai réalisé plusieurs interviews de femmes actives dans les domaines de l’associatif, de la politique, de la littérature, de la musique, etc. J’écrivais également pour d’autres magazines. J’avais une carte de presse belge. J’ai exercé le métier de journalisme à côté de mes autres activités professionnelles. C’était déjà une forme militantisme.
NYELENI Magazine : Vous avez cofondé en 2006 et présidé durant trois années le Comité belge « Ni Putes Ni Soumises » (Wallonie-Bruxelles) . De quoi parlez-vous au sein de cette ONG ?
Fatoumata Fathy Sidibé : J’ai rejoint ce mouvement autour d’un véritable projet de société, de « vivre ensemble » qui avait pour devise laïcité, mixité, égalité. L’association entendait briser l’omerta sur les discriminations, les enfermements, les oppressions, les violences dont étaient victimes les filles issues de l’immigration ( mariages forcés, viols, tournantes, séquestrations, harcèlement de rue, polygamie, déni du corps, mutilations génitales féminines, contrôle de la sexualité, surveillance par les frères, dérives religieuses,) mais aussi dénoncer le sexisme, les racismes, la montée de l’islamisme et des fondamentalismes religieux de tous bords.
Le combat était au départ porté essentiellement par des filles de culture ou de confession musulmane et il leur fallait du courage pour dénoncer les dérives au sein de leurs communautés mais le mouvement était mixte et pluraliste.
Ces trois années de NPNS ont été une période à la fois passionnante et exigeante faite de nombreux défis qui ont requis beaucoup d’efforts et apporté la satisfaction de projets concrétisés tels que la publication du « Guide belge du respect », un livre pratique pour construire le vivre ensemble, filles et garçons, égaux en droits et en devoirs et du « Kit du Respect », un outil d’animation pédagogique à destination des structures éducatives et associatives. Nous avons mis l’accent sur l’éducation et la sensibilisation, mis en place un pôle d’accueil, d’écoute, d’information, d’accompagnement, d’orientation vers des services spécialisés. Nous avons créé le débat dans les familles, les quartiers, les communes, les associations, les écoles, les hôpitaux, les institutions, les partis politiques. J’ai quitté la présidence de l’association en 2009 pour me lancer en politique.
NYELENI Magazine : Pourquoi vous vous êtes retirée de la politique ?
Fatoumata Fathy Sidibé : Il faut autant de courage pour entrer en politique que pour en sortir. En mars 2019, j’ai décidé de ne pas me représenter aux élections et de quitter la politique. Durant mes dix ans, de 2009 à 2019, au sein du parlement régional bruxellois, j’ai porté avec conviction, cohérence et constance des combats féministes, humanistes, progressistes et laïques, soutenu et initié de nombreux textes de lois concernant les droits humains en général et en particulier les droits des femmes. Beaucoup de gens entrent en politique avec un idéal. Certains le perdent en cours de route, surtout à force d’y rester trop longtemps. Il est sain qu’il y ait une vie avant et après la politique. La politique n’est pas un métier. C’est un mandat, un passage. Je me suis retirée de la vie politique car il faut toujours écouter sa voie intérieure. Je suis partie pour être au plus proche de ce que je suis, de ce que je veux, de ce que je vaux. C’est une page que j’ai bien écrite. Je n’ai ni remords ni regrets. Je remercie la Belgique, ma terre d’accueil, ce plat pays que j’ai fait mien. Ça a été un honneur pour moi de siéger au Parlement régional bruxellois et d’avoir contribué aussi à ouvrir la voie. L’engagement est une course de relais.
NYELENI Magazine : Combien d’ouvrages avez-vous publié ?
Fatoumata Fathy Sidibé : Mon premier roman Une Saison africaine a été édité chez Présence africaine à Paris en 2006 et réédité en 2018. Une saison africaine porte un regard sur le Sud et le Nord, le village et la ville, le passé et le présent, les femmes et les traditions. Le roman met également en scène une femme qui se découvre un espace de liberté grâce à l’alphabétisation et retourne la situation à son avantage grâce à sa pugnacité. Mon second est un livre d’art/poésie, Les Masques parlent aussi paru en 2014. C’est un voyage à la rencontre de mon art visuel et de ma poésie.
Et mon troisième, un essai témoignage La voix d’une rebelle, publié aux éditions Luc Pire à Bruxelles en sept 2020. Il relate, des rues de Bamako aux bancs du Parlement bruxellois en passant par le militantisme, mon parcours de femme noire, de culture musulmane, laïque, féministe, militante pour les droits humains. C’est aussi un plaidoyer pour la liberté, la dignité, la force de dire non.
Quelques-uns de mes poèmes font été publiés et référencés dans des anthologies et des revues universitaires aux USA. J’ai également participé à une dizaine d’ouvrages collectifs en Belgique sur des enjeux de sociétés et J’ai rédigé la préface de plusieurs ouvrages.
NYELENI Magazine : D’où vient votre inspiration ?
Fatoumata Fathy Sidibé : De la vie.
NYELENI Magazine : Quel objectif voulez-vous atteindre à travers l’écriture ?
Fatoumata Fathy Sidibé : J’écris parce ce que j’ai des choses à dire. C’était pour moi un moyen d’expression. Une arme de construction massive.
NYELENI Magazine : Comment voyez-vous la place de la femme dans le Mali Kura ?
Fatoumata Fathy Sidibé : Le Mali a connu de grandes figures féministes qui se sont battues pour les droits des femmes et ont passé le flambeau. Il y a une nouvelle une génération qui se bat pour que des mesures soient prises pour que les femmes puissent jouir pleinement de leurs droits sociaux, juridiques, économiques et politiques. Elles s’organisent, se mobilisent, se battent contre les violences basées sur le genre, pour les enjeux de l’accès à l’éducation, à l’emploi, à l’autonomisation, à la prévention des conflits, aux négociations et la consolidation de la paix. Elles sont prêtes à en découdre avec le patriarcat. Malheureusement, les us, coutumes, les traditions rétrogrades, la montée des extrémismes religieux freinent l’avancée des lois émancipatrices. C’est donc un combat de longue haleine. D’où la nécessité d’œuvrer ensemble, hommes et femmes, pour cette cause commune en vue d’une société plus égalitaire, plus équilibrée et apaisée.
NYELENI Magazine : Parlez-nous de votre famille et de vos loisirs ?
Fatoumata Fathy Sidibé : J’ai une vie de femme, de mère et de compagne épanouie. Comme loisirs, j’aime voyager, cuisiner, jardiner, dormir, peindre.
NYELENI Magazine : Quelles sont les sujets sur lesquels vous aimeriez écrire prochainement?
Fatoumata Fathy Sidibé : Un recueil de nouvelles. Pour moi, le fond détermine la forme. Il portera sur des histoires individuelles qui se rejoignent quelque part entre l’Afrique et l’Europe.
NYELENI Magazine : Un dernier mot.
Fatoumata Fathy Sidibé : Les problèmes sont sur le continent africain, les solutions aussi. Il n’y a pas de fatalité arcboutée contre tout un continent. La désunion africaine, à l’image des trois singes « Je ne vois rien, je n’entends rien, ne dis rien », permet aux États africains de se faire broyer isolément. Nous ne pouvons pas continuer à nous enfermer et à nous laisser enfermer dans le statut de victime, à écouter les revanchards du passé qui ânonnent que l’avenir du continent africain est entravé par les causes de tous nos malheurs que sont l’esclavage, la colonisation, le néocolonialisme. Le passé ne doit pas hypothéquer le futur. Nous devons nous regarder en face, sans complaisance. Si on veut être respecté, on commence par se respecter soi-même, on cesse de jouer les victimes. On cesse de plier l’échine. Nos dirigeants ont un devoir de résistance pour rendre à l’Afrique sa dignité, offrir un avenir et des perspectives économiques aux populations. Des milliers de jeunes prennent la route, espérant une vie meilleure. Ils partent risquer la mort, car ils pensent que mourir avec l’espoir vaut mieux que rester et mourir de désespoir.
C’est parce que les humains résistent qu’ils espèrent. C’est aussi parce qu’ils espèrent qu’ils résistent
Propos recueillis par Maïmouna TRAORÉ