Dr Afou Dembélé est détentrice d’une thèse de Doctorat soutenue en janvier 2016 à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, elle est Enseignante-chercheur et Maître de Conférences au DER Lettres à l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (ULSHB), spécialité Littérature africaine. Dr Afou est chargée de cours de Littérature orale africaine et d’Écriture féminine. Actuellement elle est la responsable de Master au DER Lettres. Ses travaux de recherche sont orientés sur la poésie orale, il s’agit plus précisément des chants et musiques traditionnelles. Elle s’intéresse également aux questions de Genre et littérature. Auteure de deux ouvrages « Brin d’espoir », Edilivre en 2010 et « Poésie orale bamanan du Bèlèdougou et éducation traditionnelle », Editions Universitaires Européennes en 2019. Professeure Afou a publié près d’une dizaine d’articles scientifiques dont « Femme et nimɔgɔniya dans le milieu senoufo », « L’allégorie de la folie au féminin dans un chant écarlate de Mariama BA et les Soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma », « La chanson populaire comme moyen de transmission de savoirs locaux en milieu bamanan(Mali)», entre autres.
Dr Afou Dembélé est membre du Réseau des femmes écrivaines du Mali et de la diaspora (RFEMD).
NYELENI Magazine : Qui est Afou Dembélé ?
Dr Afou Dembélé : Avant de vous répondre, permettez-moi de remercier NYELENI Magazine qui œuvre pour la promotion des Femmes. C’est une belle initiative. Je suis née à Gongasso, dans la région économique et agricole du Mali, Sikasso. Parlant de mon cursus scolaire et universitaire, j’ai fait le cycle primaire et secondaire à Kléla / Sikasso. Titulaire d’un Baccalauréat Malien, série Langues et Littérature au lycée M D de Montclo de Sikasso (1996), j’ai été orientée à l’ex FLASH (Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines) à Bamako (de 1996 à 2000). Avec la Licence, Section Lettres (2000), j’ai fait le concours d’entrée à l’ENSUP (nouvelle formule) d’où je suis sortie avec le Diplôme de l’École Normale Supérieure (ENSUP) en 2002.
A ma sortie, en 2002, j’ai été recrutée comme fonctionnaire des collectivités au niveau de l’enseignement secondaire général, technique et professionnel comme professeur de Lettres jusqu’en 2010.
En 2010, je suis partie au Sénégal pour un Master à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), obtenu en 2012. D’où je suis restée pour ma thèse de doctorat que j’ai soutenue en janvier 2016, Spécialité : Études africaines.
J’ai participé de 2003 à aujourd’hui, à plusieurs stages, voire séminaires de formation au Mali, au Sénégal et en France, afin d’avoir d’excellentes expériences professionnelles au service de l’enseignement secondaire général, technique et professionnel et des Universités du Mali.
NYELENI Magazine : En publiant un ouvrage, quel objectif voulez-vous atteindre ?
Dr Afou Dembélé : En publiant un ouvrage, j’informe, je forme, je sensibilise et j’éduque le public-lecteur. Je tente, dans la mesure de mon possible, par le canal de mes expériences vécues, qui auraient pu être les vôtres et les leurs, à divers degrés et circonstances – d’attirer l’attention de tout le monde sur certaines réalités.
NYELENI Magazine : Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Dr Afou Dembélé : Je m’inspire d’une part de mes propres expériences et celles des autres, et d’autre part, de l’histoire, de la réalité quotidienne et des écrits des autres écrivains à travers mes lectures.
NYELENI Magazine : « Brin d’espoir » et « Poésie orale bamanan du Bèlèdougou et éducation traditionnelle », pouvez-vous nous parler un peu de ces deux ouvrages ?
Dr Afou Dembélé : Brin d’espoir : Dans ce recueil poétique, je tente, dans la mesure de mon possible, par le canal de mes expériences vécues, qui auraient pu être les vôtres et les leurs, à divers degrés et circonstances – d’attirer l’attention de tout le monde sur le constat infaillible d’une vérité. A savoir : quelles que soient les difficultés rencontrées lors de la réalisation d’une action bien déterminée, se situant sur plusieurs plans : social, moral, économique, humain…, qui sait cultiver davantage l’art de la patience, de la persévérance et de l’humanisme, aura bel et bien gain de cause. N’a-t-on pas coutume de dire qu’après la pluie c’est le beau temps ? Oui, vivre, c’est espérer jusqu’au bout. Dans toutes les situations il faut toujours chercher un côté positif même dans le malheur. Parfois il faut beaucoup souffrir pour apprendre à apprécier. La vie est une roue, et pour se déplacer, il faudra nécessairement qu’elle tourne. Le pouvoir, l’argent, la nuit, le jour et Dieu n’appartiennent à personne, le jour peut devenir la nuit. C’est dans l’espoir d’un lendemain meilleur que toutes les difficultés deviennent surmontables d’où le titre de mon recueil, Brin d’espoir.
Poésie orale bamanan du Bèlèdougou et éducation traditionnelle : est un ouvrage poétique et socio anthropologique qui apporte une lumière à l’expression populaire et traditionnelle de la poésie chantée bamanan. Les thèmes abordés sont relatifs à la vie quotidienne des Bamanan du Bèlèdougou. Il joue une double fonction de divertissement et d’éducation. Il est composé de deux grandes parties : – d’abord une typologie assez représentative des différentes catégories de genres (121 textes transcrits et traduits en français). Ce corpus constitue ainsi un matériau d’une grande richesse participant à la préservation du patrimoine culturel bamanan. – ensuite une analyse de textes qui ponctue les principales étapes de la vie du Bamanan.
NYELENI Magazine : Dans la revue scientifique « Le Cailcédrat », vous avez écrit sur « Les rites initiatiques féminins, facteur d’intégration et de cohésion sociale en milieu bamanan », donnez-nous une petite explication, parce que nous avons besoin de cohésion à l’heure actuelle ?
Dr Afou Dembélé : Les rites initiatiques féminins transforment la femme en profondeur, en font une femme sociale et un être accompli. L’être accompli est celui en qui coïncident harmonieusement l’être, le voir, le dire et le faire ! Tel est le principe fondamental chez les Bamanan. Et ce principe nous le retrouvons dans les rites initiatiques féminins. Les anciennes exigent des néophytes qu’elles rompent avec leurs vieilles habitudes de jeunes filles ou de femmes turbulentes et indisciplinées : si elles étaient arrogantes, elles deviendront humbles, si elles étaient menteuses, elles deviendront honnêtes, si elles étaient irrespectueuses, elles deviendront polies, si elles étaient ingrates, elles seront reconnaissantes.
C’est en tenant compte de tous ces facteurs positifs que ces rites initiatiques sont facteur de cohésion sociale. En Adama den (fils d’Adam), nous venons au monde dans les mains des autres et nous partons tels. Les réalités (vie et mort, bonheur et malheur, dépendance et responsabilité) sont formulées de manière à introduire l’idée que fait le Bamanan sur la réalité de la vie. Pour lui, ce dédoublement appelle la notion de complémentarité (diɲɛ fan si, maa tɛ se ka kɛ fɛn ye i kelen) (Nulle part au monde, l’homme ne peut réussir seul et devenir quelqu’un. Autant dire que l’homme ne se réalise jamais dans l’isolement : « Si tu es seul tu portes tout seul le poids de tes problèmes : i kunko bɛɛ ye i kelen ta ye. Solitaire l’on ne peut rien faire : maa kelen tɛ se ko la. Telle est la philosophie des rites initiatiques féminins.
NYELENI Magazine : « La responsabilité de la jeune mariée à travers quelques chansons de mariage en milieu bamanan », un de vos écris. Quelles sont ces responsabilités, le marié en a-t-il aussi ?
Dr Afou Dembélé : Nombreux sont les chants qui mettent en garde la nouvelle mariée contre les insultes ou toutes autres marques d’impolitesse envers les beaux-parents. Comme l’atteste ce chant exécuté par les belles-sœurs de la mariée :
Na k’i laadi, Viens que je te conseille,
Burankɛ nɛnili, On n’insulte pas le beau-père,
O t’anw ka so, o k’a to i kɔnɔ. Cela ne se fait pas chez nous, ne l’oublie pas.
O t’anw ka so buranmuso bugɔli, On ne frappe pas la belle-mère chez nous.
O t’anw ka so, o to i kɔnɔ. Cela ne se fait pas chez nous, ne l’oublie pas.»
L’examen attentif des chants de mariage dessine la position de la femme par rapport à son mari et ses beaux-parents. Le mari ne fait pas l’objet de manifestations d’amour et de tendresse, l’amour est pratiquement absent. Les chants évoquent plutôt la relation de la mariée avec son entourage : ce sont les beaux-parents (la belle-famille) qui sont mentionnés. Nulle part il n’est question de mariage et d’amour. L’amour et le mariage semblent donc être deux choses inconciliables ou tout au moins très rares dans le milieu traditionnel bamanan. À propos de la représentation de l’image du mari, Pascal Baba Coulibaly note que parmi les différents partenaires sociaux de la femme, « Sa figure est, de toutes, celle qui est la plus dévalorisée ; certes en raison du fait qu’il est toujours imposé et non élu, mais également parce qu’il symbolise le pouvoir phallocratique, avec tout ce qu’il représente de violence, de fatuité et d’iniquité », Pascal Baba Coulibaly.
NYELENI Magazine : « La polygamie dans deux romans africains », parlez-nous brièvement et en tant qu’africaine et féministe que pensez-vous de la polygamie ?
Dr Afou Dembélé : Si être féministe, c’est lutter pour l’amélioration des conditions de vie de la femme, je suis féministe. Mais, si au contraire, c’est combattre le mâle, je ne suis pas féministe car « tout féminisme qui, au lieu de combattre le mal, combat le mâle n’en est pas un. Il est un danger ». S’agissant de la polygamie, aucune femme ne consent à la polygamie qu’à son corps défendant : c’est malgré elle absolument que la femme accepte d’être secondée au foyer conjugal. Plus que personne, elle sait que l’alliance à deux est la vraie et que l’alliance à trois ou plus n’est que fourberie et tromperie. Ceci dit, être féministe c’est également oser accepter la réalité. En tant qu’africaine et féministe, je pense que la polygamie est d’une part « un mal », (Une si longue lettre de Mariama BA) et d’autre part, une nécessité voire une thérapie, (Riwan ou le chemin de sable de Ken Bugul). Ainsi, elle apparaît comme « un mal nécessaire » dans la plupart des sociétés africaines. Pour moi tous les hommes naissent polygames mais si certains font le choix d’être « polygames officiels », d’autres choisissent d’être « polygames officieux ». Socialement, plusieurs facteurs légitiment la polygamie malgré tous les problèmes qu’elle peut engendrer. Un polygame qui se respecte n’est-il pas mieux qu’un coureur de jupons monogame avec des enfants illégitimes ?
NYELENI Magazine : « La Charte du Kurukan Fuga et la question du genre dans les sociétés Ouest-africaines », globalement que dit la Charte et quelle considération accorde-t-elle à la femme ?
Dr Afou Dembélé : Assurément, si la charte est, réellement un élément fédérateur et symbole de tolérance dans les sociétés africaines, la question du genre ne pouvait être ignorée. Après la bataille de Kirina, le Manden avait besoin de cohésion sociale, les deux catégories sociales (les femmes et les jeunes filles) se retrouvent dans ces dispositions devenues traditions presque chez tous. Mariée ou jeune, peu importe, le sort de la femme est abordé dans la Charte de Kurukan Fuga.
Observons les articles 14, 15 et 16 de la charte de Kurukan Fuga :
Article 14 : N’offensez jamais les femmes, elles sont nos mères.
Dans cet article, l’amour maternel s’exprime librement. Cela se comprend dans la mesure où la mère est considérée comme la première valeur de la vie, celle avec laquelle l’espoir est permis. D’où l’adage selon lequel « la vraie richesse d’un homme est sa mère, si elle est bonne » décrit assez bien la place et le rôle de la mère dans la société mandingue.
Article 15 – Ne portez jamais la main sur une femme mariée avant d’avoir fait intervenir sans succès son mari.
Cet article définit le type de rapport devant régir, d’une part, la femme et son époux et, d’autre part, la relation de la femme avec son entourage. Cette considération, par ailleurs, est un message d’espoir et de transcendance. Ainsi, l’article 15 valorise le mariage à travers le respect de la femme mariée.
Article 16 – Les femmes, en plus de leurs occupations quotidiennes, doivent être associées à tous nos gouvernements.
Cet article accorde une part de respect aux femmes et de liberté garantie par la pratique du pouvoir. Cette implication des femmes dans la gouvernance démontre clairement que la question de l’égalité et du genre a été abordée dans les sociétés ouest-africaines, dès 1235. Et, qu’en effet, la question du genre n’est pas une donne tout à fait nouvelle dans lesdites sociétés. Nous pouvons dire que la charte est un patrimoine à conserver car elle repose sur un fondement socioculturel qui permet aux hommes et aux femmes de construire la paix dans un contexte approprié, consensuel, voulu, une paix à laquelle chaque individu aspire, une paix construite avec autrui sur les rapports de solidarité, de tolérance, d’acceptation de la différence quotidiennement vécus et partagés par la majeure partie des couches sociales au Mali et en Afrique de l’Ouest.
NYELENI Magazine : « Éducation sexuelle à travers les chansons traditionnelles bamanan » et pourtant certains ne veulent pas entendre parler de cela à l’école, doit-on laisser les livres pour passer par les chansons afin de mieux véhiculer les messages ?
Dr Afou Dembélé : Interrogeons-nous sur nos habitudes. Cela nous aide beaucoup dans la gestion du futur. La sexualité, quand elle est rapportée, est saisie comme inexplicable parce que prise au piège d’une pensée dont seuls les aînés et les adultes ont le secret. Elle est de ce fait un sujet délicat mais d’une importance capitale. Cependant, considérée hier, comme sujet tabou, la sexualité est aujourd’hui, vulgarisée surtout avec l’apparition de nouveaux médias et des réseaux sociaux. Nous pensons qu’au lieu d’en faire un sujet tabou, il serait mieux d’adopter une méthodologie adaptée aux réalités culturelles maliennes. Il s’agit de tenir compte du moment, du lieu, des codes et de l’âge du destinataire. Qui dit quoi et à qui ? Quels sont les éventuels interdits relatifs à l’énonciation ? Car n’importe qui ne doit pas dire n’importe quoi à n’importe qui, n’importe quand, n’importe où et n’importe comment.
NYELENI Magazine : Professeure, épouse, maman et écrivaine, pouvez-vous nous donner le programme d’une journée normale chez Dr Afou ?
Dr Afou Dembélé : Le programme d’une journée normale se déroule en deux phases. La première commence à 5 heures du matin et se termine à 14h à l’Université. J’habite loin de l’Université (de Niamana à Kabala). La seconde, de 21h à 00h, est consacrée à l’écriture ou à la recherche ou encore à la lecture selon le besoin.
NYELENI Magazine : Quel conseil pouvez-vous donner à la jeune génération de maliennes ?
Dr Afou Dembélé : Être Malienne d’’aujourd’hui, c’est être persévérante et ambitieuse. Car l’émancipation ne se revendique pas, elle se vit, elle s’impose. C’est une attitude. « Le tigre ne crie pas sa tigritude, il saute sur sa proie et la dévore. ». Il est temps pour les femmes d’assumer leur existence. Nous sommes des femmes et nous ne devons pas avoir peur d’être ce que nous sommes.
Propos recueillis par Maïmouna TRAORÉ