DIKORÈ S’EST ÉCLIPSÉE DE LA SCÈNE NON SANS AMERTUME

A peine que nous commencions à nous remettre de l’émotion et de la tristesse de la disparition d’Oumou Diarra dite Dièman que le sort vient encore nous asséner un terrible coup en nous prenant l’une des plus talentueuses comédiennes de sa génération. Oui, Oumou Berthé dite Dikoré n’est plus ! Elle nous a quittés le 22 avril 2024 en début de soirée. Elle repose désormais au cimetière de Lafiabougou pour l’éternité après une brillante carrière professionnelle.

Elle s’est si merveilleusement fondue dans le rôle que les gens ont souvent parié qu’elle était une peule et non une sénoufo bon teint, dont la famille est originaire de Gouéné (cercle de Kadiolo). La talentueuse et joviale « Fula muso surun » (courte femme peule) a tiré sa révérence le lundi 22 avril 2024. La longue maladie qui l’a éloigné des studios de l’ORTM, des scènes (théâtre, sketches…) et de l’écran a finalement eu raison de Oumou Berthé dite Dikoré.

Dans le cœur des Maliens, Dikoré a vite éclipsé Oumou Berthé pour identifier la talentueuse artiste-comédienne et excellente communicatrice. Elle a très tôt su ce qu’elle avait envie de faire de sa vie. Ce qui fait que, après ses études primaires à Ségou, Dikoré a rejoint l’Institut national des arts (INA) à Bamako. Une fois ce diplôme décroché, elle est admise à la Fonction publique en 2004 en tant que bibliothécaire et servira d’abord à l’Ecole normale supérieure (ENSUP) durant deux ans. Courageuse, elle ne s’en contenta pas et s’inscrit à la Faculté des langues arts et sciences humaines (FLASH) d’où elle est sortie comme metteur en scène.

Agent à l’Office de Radio et télévision du Mali (ORTM), Dikoré a également joué dans plusieurs sketches, pièces de théâtre et films. C’est à l’Ina que le chemin de la talentueuse comédienne croise ceux de Ténéma Sanogo dit « Lassidan Kénékaraba », Maliky Dramé, Seydou Touré dit Dugutigui, Zanké, Hamady (le dogon devenu peul sur scène) … Elle a par la suite été un membre influent du célèbre groupe Nyogolon. Cela lui a permis de jouer dans plusieurs films dont « Kokadjè ». A noter que la défunte Oumou Berthé a fait ses premiers pas dans la comédie alors qu’elle était encore étudiante à l’INA (première année) dans l’Opération lecture publique (OLP) avec Philippe Docier.

Son surnom Dikoré vient du rôle d’une femme peule qu’elle a eu à jouer dans une création du groupe Nyogolon. « Le nom Dikoré est venu à travers une création avec l’ONG femme et développement qui était affiliée à la CMDT dans le temps. On nous a donné un sketch dans lequel j’ai joué le rôle de Dikoré. Après Dougoutigui (Seydou Touré) qui se trouve à l’ORTM avec son groupe m’a donné le nom de Dikoré car pour lui, avec le rôle d’une femme peuhle que je devrais jouer, ce nom me conviendrait bien. C’est comme ça que j’ai pris ce nom de scène », nous a-t-elle confié lors d’un atelier de production organisé par l’Unicef à Sikasso dans les années 2000.

Affectée jusqu’à la mort par l’agonie du théâtre malien

La comédie, la création théâtrale et cinématographique n’ont pas été épargnées par la crise multidimensionnelle qui affecte notre pays depuis plus d’une décennie. Ce qui fait que, depuis 2014, Oumou Berthé était plus active à la radio-rurale de l’ORTM. « J’ai choisi la radio pour un certain nombre de raisons. En tant qu’artiste-comédienne, je voulais découvrir le Mali profond. Et ma venue à la radio m’a permis de réaliser ce désir », a-t-elle confié à la presse.

« Un artiste, même étant à la radio, peut mener une brillante carrière artistique. Mais, s’il n’y a pas de création, cela n’est pas possible. Sans compter qu’il faut aussi souvent laisser la scène pour permettre aux jeunes de s’épanouir. Notre rôle est de les aider, de leur donner leur chance et de leur permettre de travailler dans de bonnes conditions », avait-elle souligné. Cela ne lui avait pas manqué à un moment crucial de sa carrière. « Un grand metteur en scène français qui était le directeur du théâtre d’Angers m’a beaucoup aidé et encouragé dans tout ce que je faisais… Il me donnait des conseils et me guidait. Et il m’a fait tourner en France durant deux ans. Je ne l’oublierai jamais… », a rappelé Oumou Berthé dans une interview.

Aux jeunes, Dikoré a toujours conseillé la formation et le travail car, leur disait-elle, « seul le travail paye ». Sans compter que, leur rappelait-elle, « le métier d’artiste, de comédien est très délicat. Il faut savoir convaincre le public, savoir parler, savoir se conduire… En un mot, il faut être exemplaire dans tout ce que l’on fait. Et c’est le seul secret pour être un bon artiste ». Dikoré s’est éclipsée sans doute sans avoir le temps de concrétiser l’un de ses grands projets. « Je compte me concentrer sur les activités des enfants. Il s’agit de faire du cinéma pour les enfants, les tout-petits. J’avais une troupe exclusivement féminine que j’appelais troupe Kôfilè ou regard sur le passé. Les comptes que nous faisions étaient pour nous des moyens d’éduquer. Ma vision est axée sur l’éducation des enfants car, pour moi, il faut éduquer l’enfant dès le bas âge. Et mon objectif est d’éduquer les enfants à travers le théâtre », confiait-elle à une consoeur de la place dans un entretien accordé en 2016.

Elle était aussi très affectée par l’agonie du théâtre au Mali. « Dans ce pays, on a tué le théâtre. Le développement d’un pays dépend de sa culture… On ne peut pas tout dire à un peuple, à un responsable. Mais, c’est à travers le théâtre qu’on peut changer les choses. On demande un changement de comportement dans ce pays et c’est à travers le théâtre qu’on peut changer les choses, les mentalités. Grâce au théâtre, on peut aider les gens à changer dans le plaisir, dans la joie… », déplorait la talentueuse comédienne et metteur en scène avec beaucoup d’amertume.

Une brillante carrière qui marquera longtemps les esprits

Et de déplorer. « Il n’y a pas de financement pour le théâtre. On fait aujourd’hui du théâtre par passion, pour le plaisir. Mais, avec tout ça, on n’a même pas souvent d’endroit où faire des répétitions ». Se fondant merveilleusement bien dans ses différents rôles, Dikoré lègue à la postérité une carrière qui va longtemps marquer les esprits. « Elle était l’incarnation même de cette femme dévouée à la culture, à la scène qui a marqué notre enfance… C’est vraiment beaucoup de souvenirs qu’on garde d’elle », a déclaré notre consoeur Aminata Yattara. Ces dernières années, Oumou Berthé a été une mère dévouée pour beaucoup de comédiens et de comédiennes de la nouvelle génération ayant bénéficié de son encadrement. Avec sa disparition, la grande famille des arts et de la culture ainsi que le cercle de l’audiovisuel malien perdent « une valeur sûre, une grande dame qui a pleinement joué son rôle » dans leur épanouissement.

« Inna lillah wa inna ilayhi raaji’uun» ! Oui, C’est à Allah que nous appartenons et c’est à Lui que nous retournons. Elle fut et restera à jamais cette figure emblématique, aimée et respectée pour son talent, sa générosité et son dévouement à son art. Ce 22 avril 2024, son nom a été ajouté à la liste des grandes comédiennes arrachées à notre affection comme Oumou Diarra Dièman, Fatoumata Coulibaly FC, Maïmouna Hélène Diarra…

Repose en paix Dikoré ! Tu as marqué ton époque en jouant merveilleusement ta partition !

Moussa BOLLY

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