« Nous voulons que nos sociétés s’élèvent à un degré supérieur de développement, mais d’elles-mêmes, par croissance interne, par nécessité interne, par progrès organique, sans que rien d’extérieur vienne gauchir cette croissance, ou l’altérer ou la compromettre ». (Aimé Césaire –Lettre à Maurice Thorez-Octobre 1956)
25 mai, la journée de l’Afrique, s’inscrit cette année dans un contexte de libération de la parole à propos de l’un des sujets qui fâchent: l’utilité des Opérations de Maintien de la Paix (OMP) des Nations Unies.
« A quoi servent les casques bleus ? » a demandé le président guinéen Alpha Condé, lors du trentième sommet de l’Union africaine (UA), le 28 janvier 2018, à Addis-Abeba (Éthiopie) en tant que président en exercice de l’organisation panafricaine.
L’Afrique des peuples doit s’emparer de cette épineuse question en vue de contribuer, activement, à faire taire les armes, comme l’UA l’envisage dans l’agenda 2063 dans les meilleurs délais à défaut de pouvoir y arriver avant l’an 2020 sur toute l’étendue du continent.
La question est d’une actualité brûlante au Mali. Le désarroi qui est, aujourd’hui, palpable tant à l’intérieur du pays qu’au niveau de ses diasporas à la veille de l’élection présidentielle qui devra avoir lieu le 29 juillet 2018, n’a pas lieu d’être. L’approche culturelle, éthique et esthétique que nous proposons vise à rappeler que dans ce pays nous avons les moyens humains, intellectuels et culturels d’éviter l’escalade.
Nous nous voulons un mouvement d’éveil des consciences et d’éducation citoyenne quant aux enjeux économiques, culturels et géostratégiques des élections dont l’exclusion et/ou l’ignorance expliquent bien des excès et des dérapages.
Le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat insiste sur « l’urgence pour l’Afrique de prendre en main son propre besoin de paix et de sécurité ». Tel est notre credo, en commençant par le développement « clé en mains » dont la faillite qui était inévitable, a engendré les insécurités alimentaires, sanitaires, monétaires, environnementales et émotionnelles.
« Dormir sur la natte des autres, c’est comme si l’on dormait par terre », souligne le professeur Joseph Ki-Zerbo. Le temps du développement endogène et autocentré qui était au cœur de son combat est assurément venu. Les ravages de la volonté d’hégémonie économique, culturelle et technologique sont palpables partout et d’une extrême gravité sous nos cieux. Pour lui, « le développement loin d’être le résultat mécanique d’un transfert de gadgets et de recettes, loin d’être la capacité d’endettement ou de consommation béate et béante des productions d’autrui, est le fruit d’une constellation de facteurs ou de conditions dont les plus évidents pour nous, aujourd’hui, sont la démocratie vécue ».
La sécurité obéit aux mêmes exigences d’endogèneité et de démocratie réelle. Elle a tout d’une prothèse dans le cadre de la guerre contre le djihadisme au Mali, du fait des solutions d’emprunt et du déni de démocratie qui caractérise les relations entre l’Etat malien et la « communauté internationale ». Nous voulons marcher sur nos deux jambes, par et pour nous-mêmes, dans la direction dont nous aurons convenu.
Au sujet du sens de la marche de notre pays qui nous interpelle aujourd’hui plus que jamais, Mahamadou Karamoko Bamba du mouvement N’Kô illustre de fort belle manière, en ces termes, l’importance de la connaissance et de la solidarité dans la recherche du sens de cette marche. « Une fourmi tentait de transporter une sauterelle morte, mais n’y arrivait pas. Elle fit appel à ses congénères, mais, ensemble, elles n’y arrivèrent pas non plus, ne sachant dans quelle direction aller. Lorsqu’elles s’accordèrent sur la direction à prendre, elles soulevèrent et emportèrent la sauterelle».
Que nous faut-il savoir et marteler en tant que citoyen(ne)s électeurs/trices pour ne plus nous tromper de défis et de priorités ? Il est primordial de savoir que l’économie a désormais pris le pas sur le politique. Les entreprises corrompent en orientant le développement dans le sens de leurs intérêts, en finançant les élections et en donnant des instructions aux Etats, des plus puissants aux plus petits.
Les enjeux sont, en d’autres termes, plus déterminants que nos bulletins de vote. Ils en disent long sur le mandat du président sortant Ibrahim Boubacar Keita, et pèseront lourdement sur le destin du pays au cours du prochain quinquennat et, probablement, pendant longtemps.
Nous devons l’acuité et la complexité de cette crise au fait que le Mali est une question de politique intérieure en France dont les dirigeants promettent à leurs concitoyen(ne)s d’être fermes à travers la force Barkhane dans la lutte contre le djihadisme au Sahel. La même fermeté leur est promise dans la chasse aux migrant(e)s « économiques ». Notre pays est également un enjeu de politique internationale pour l’ancienne puissance coloniale dans le cadre du capitalisme mondialisé et financiarisé. « La France n’entend pas perdre ses avantages et ses parts de marchés en Afrique ni face aux autres puissances occidentales ni face aux émergents. Notre pays ne tient dans la mondialisation que par les très grands groupes qui constituent le pivot du redressement économique et du désendettement de la nation », rappelle Nicolas Bavarez. (Le Monde 9 novembre 2010).
La violence des faits ravivent en la plupart d’entre nous la mémoire de la lutte de libération nationale et la volonté de renouer avec les principes moraux d’antan.
Rares sont les candidats à l’élection présidentielle qui ne s’identifient pas au père de la nation, Modibo Keita. Référence est généralement faite à sa droiture morale et à son projet politique de bâtir un Mali souverain au plan politique, économique, monétaire et militaire. Mais extrêmement rares sont ceux qui revendiquent l’inspiration socialiste et panafricaniste de son projet économique et la ligne rouge de la présence de troupes étrangères sur notre sol qu’il a tracée en demandant le 20 janvier 1961, leur départ. Elle a été franchie en 2013 d’autant plus allègrement.
Prémonitoire est la position panafricaniste du président Modibo Keita lorsqu’à propos du Congo, il déclare. « Nous sommes persuadés que ce qui sera mortel pour l’Afrique, donc pour nous tous, ce sera le développement de l’intervention étrangère. Or, nous savons qu’aucun peuple ne peut accepter d’être humilié, de se sentir chaque fois sous la domination d’une puissance étrangère, d’un autre peuple. C’est le cas actuel du Congo. Personnellement je dois vous dire que je suis très inquiet de cette situation, non seulement pour le Congo lui-même mais aussi pour les États voisins et plus tard pour nous tous » (Conférence de presse du 21 août 1964).
Rien ne nous dit que le président Modibo Keita pourrait dans les circonstances actuelles faire corps avec son peuple sans être déstabilisé comme par le passé, l’impérialisme n’ayant pas changé de dessein mais d’habits.
Pour nous en tenir aux deux chefs d’État qui ont eu à gérer la présente crise, le président par intérim, Dioncounda Traoré, n’avait pas demandé de déploiement de troupes au sol, mais a dû en assumer la responsabilité. Laurent Bigot, sous-directeur Afrique de l’Ouest au ministère des affaires étrangères (2008-2013) l’atteste. « Dioncounda Traoré et les autorités maliennes sont assez crispés. Il est assez réticent à une intervention militaire complète sur le sol malien. On leur donne les termes de la lettre qui nous conviendrait ». Elle arrive à l’Élysée par télégramme diplomatique crypté, mais ne convenait pas, « on échange avec les autorités maliennes qui nous refont une lettre dans la même journée dans laquelle le Mali demande, officiellement, le soutien militaire de l’armée française ». (Documentaire de Claire Tesson et Jean Marc Philibert « Le Mali, quand la France entre en guerre). Quant au président Ibrahim Boubacar Keita, il était réticent à l’installation de la mission onusienne et a demandé son retrait progressif pour non-conformité de son mandat avec la nature de la menace. Le Conseil de sécurité, qui ne l’entendait pas de cette oreille, a maintenu la MINUSMA et a augmenté le nombre des casques bleus.
Jean François Bayart rapporte que « Nicolas Sarkozy a de facto coupé l’aide au développement (au Mali). Il a également contribué à l’affaiblissement de l’autorité du président Amadou Toumani Touré en exigeant de lui la signature d’un accord de réadmission des migrants clandestins, politiquement inacceptable aux yeux de son opinion publique, et en guerroyant sur le territoire malien de pair avec l’armée mauritanienne à partir de 2010, sans même toujours l’en avertir ».
La dégradation de la situation sécuritaire sur le terrain vient d’ouvrir une belle brèche dans l’approche militariste de la sortie de crise.
Le commandant de la force Barkhane, c’est-à-dire l’une des voix les plus autorisées, Bruno Guibert a déclaré, suite à l’attaque du « Super Camp » de la MINUSMA à Tombouctou le 14 avril 2018, qu’ « … il n’y aura pas de solution militaire dans ce pays ». « Que chacun abatte ses cartes, que les visages se dévoilent, de manière à savoir qui est l’ennemi de ce pays et de son peuple. Le jour où tous les acteurs politiques partageront avec la MINUSMA et Barkhane une vision commune en la matière, tout sera beaucoup plus simple » a également déclaré le patron de Barkhane (Opex360.com).
Ce tête-à-tête entre nos acteurs politiques et les forces étrangères n’a que trop duré. Nous le récusons.
Que la France, l’Europe et les Nations-Unies aussi mettent bas les masques, le Mali étant la première victime collatérale, en Afrique subsaharienne, de la violation de la résolution 1973 du Conseil de sécurité dans le cadre de l’intervention franco-britannique en Libye.
L’ancien ministre français des affaires étrangères, Dominique De Villepin a nommé, de manière explicite, les premières responsabilités : « … il serait temps que les États-Unis et l’Europe tirent les leçons de l’expérience. Depuis l’Afghanistan, cela fait treize ans que nous avons multiplié les interventions militaires (Afghanistan, Irak, Libye et Mali). En 2001 il y avait un foyer de crise terroriste central. Aujourd’hui il y en a près d’une quinzaine. C’est dire que nous les avons multipliés. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, l’État Islamique, c’est l’enfant monstrueux de l’inconstance et de l’arrogance de la politique occidentale ». (BFMTV le 12/09/2014).
N’y a-t-il pas lieu de s’inquiéter lorsque le président de la commission des affaires étrangères et des forces armées du Sénat français, Christian Cambon compte proposer à l’Exécutif de faire « Attention à ne pas mettre un espoir excessif dans le G5 Sahel » et que « Si Barkhane s’en va, la région sera à nouveau menacée ? (Opex360.com). Sommes-nous prêts à subir pendant dix à quinze autres années, peut-être plus comme en République Démocratique du Congo, une présence militaire étrangère inefficace, coûteuse et attentatoire à la souveraineté nationale ? Christian Cambon estime qu’une « action politique et diplomatique vigoureuse est nécessaire ».
Ne faudrait-il pas, au contraire, que le président Emmanuel Macron donne davantage de chance à la paix entre Malien(ne)s, à la sécurité en France et en Europe en liant l’acte à la parole ? N’a-t-il pas déclaré qu’avec lui «… ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans », et que « la démocratie ne se fait pas depuis l’extérieur à l’insu des peuples » ?
Or le déni de démocratie a marqué chaque étape de la gestion de cette crise. Il n’a pas été possible non plus de récupérer les armes qui auraient pu permettre aux FAMA de résister davantage aux bandes armées et de sauver leur honneur. Cette solution couplée à un appui aérien ponctuel et sincère de la France aurait permis d’éviter l’escalade et le risque d’enlisement de Barkhane, d’autant plus que les soldats français ont libéré Tombouctou sans tirer un seul coup de feu. (Documentaire de Claire Tesson et Jean Marc Philibert «Le Mali, quand la France entre en guerre»).
Les militaires maliens font figure d’éternels apprenants que l’EUTM a pour mission d’entrainer. Alors que les résultats obtenus depuis 2013 sont loin d’être probants, les 600 militaires européens resteront parce que selon la mission du Sénat français « … ’il n’y a pas d’autres solutions que de reconstruire l’armée malienne sans se décourager même si on a parfois l’impression d’arroser le sable » !!! (Opex360.com).
L’Union européenne vient de prolonger de deux ans le mandat de l’EUTM en étendant son programme à la force conjointe du G5 Sahel et en doublant son budget qui est passé de 33,4 millions d’euros à 59,7 millions d’euros pour la période du 19 mai 2018 au 19 mai 2020.
La question des moyens qui n’a pas l’air de se poser au sujet de la mission européenne est chronique au niveau de la MINUSMA : la mission onusienne la plus meurtrière, en manque toujours. Son autoprotection absorbe l’essentiel de ses ressources. Comme pour l’EUTM, le mandat de la MINUSMA sera renouvelé.
Composée de 5.000 soldats, la force conjointe du G5 Sahel est soutenue par Barkhane dont le chef explique que « … Hormis ce qu’a donné la France sous forme d’équipements, il n’y a pas grand-chose qui a été fait. Cette force conjointe n’a même pas de budget de fonctionnement. Ils manquent de tout. Comment voulez-vous créer la logistique d’une force dont les armées constitutives sont elles-mêmes dépourvues ? C’était un leurre de croire que ce serait rapide, et que ça se ferait sans un tuteur fort ». Qu’est-ce que c’est un tuteur fort ? Selon Pierre Conesa «…Barkhane est un gouffre financier qui se creuse avec régularité. Il reste à mentionner que ces guerres sont, pour l’essentiel, des échecs et, quand elles ne le sont pas, elles s’inscrivent dans une durée imprévisible.»(Le coût exorbitant des guerres de la France. Pierre Conesa www.liberation.fr-16/03/15).
Une solution politique véritablement malienne exige un ancrage social et culturel solide. Comme au Rwanda où les Gwachacha ont fait leur preuve en matière de paix et de réconciliation, le Mali est en mesure de relever ce défi. Mais dès 2013, il nous a été interdit de parler avec les djihadistes. « Je sais qu’il peut y avoir une tentation de mener des négociations. Négocier avec les terroristes ? Il ne peut en être question. Toute perte de temps, tout processus qui s’éterniserait ne pourrait faire que le jeu des terroristes » selon le président François Hollande (le 26 septembre 2012).
Nous ne devons pas négocier avec les terroristes mais nous ne devons pas parler non plus entre Malien(ne)s. L’accalmie obtenue par le président malien – qui a mis à contribution les familles fondatrices de Bamako et les chefs religieux face à l’ampleur du mouvement « An tè a banna »- a été désavouée par la « communauté internationale » ? À New-York, en septembre 2017, lors d’une réunion ministérielle en marge de l’Assemblée générale, le Secrétaire général des Nations-Unies a souligné, entre autres, que le report du référendum sur la révision constitutionnelle, « s’il est utile, pour désamorcer les tensions, retardera encore la mise en œuvre de certaines dispositions de l’accord de paix qui nécessitent des modifications constitutionnelles ».
Faut-il rappeler, s’agissant du développement, qu’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), Ansar Dine, le Mouvement pour l’Unicité, le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) comme le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA) sont venus planter leurs drapeaux dans les trois régions du nord pendant que l’État et ses partenaires techniques et financiers, Banque mondiale, Banque Africaine de Développement (BAD), ONU, USA, UE et autres s’attellent à des politiques économiques prétendument vertueuses, voire même, exemplaires ? En exigeant moins d’État, la privatisation des entreprises publiques et le recouvrement des coûts des secteurs aussi essentiels que l’éducation, la santé, l’eau potable et l’assainissement, le système néolibéral a mis en péril le tissu économique et la cohésion sociale et créé les conditions de l’exode forcée, du djihadisme, du narcotrafic et leur corollaire : les violences à l’endroit des femmes. Le coton est un cas d’école.
Jean François Bayart souligne avec justesse que « La France a une part de responsabilité dans l’effondrement de l’État malien. Elle a soutenu dans les années 1980 des programmes d’ajustement structurel d’inspiration néolibérale qui ont détruit l’école et la santé publique et ont, ainsi, ouvert une voie royale aux institutions islamiques de substitution. Elle a endossé la libéralisation de la filière coton voulue par la Banque mondiale qui a accéléré l’exode rural et l’émigration, tout en bloquant cette dernière alors même que « les remises des expatriés sont plus élevées que « l’aide publique au développement » (Chronique d’une faillite programmée, Le Monde, 23 janvier 2013).
La solution politique malienne ne saurait se limiter à la bonne organisation de l’élection présidentielle en 2018 et la mise en œuvre de la totalité de l’Accord de paix d’Alger.
Ce n’est pas l’Accord d’Alger mais l’Accord de Paris sur le climat et la démilitarisation du Sahel qui garantiront durablement la paix et la sécurité au Mali et en Afrique, à la France et à l’Europe. C’est une alliance entre toutes les forces vives, toutes les bonnes volontés de part et d’autre de la Méditerranée qui feront des êtres humains et l’écologie le centre du développement durable.
Dans un monde globalisé devenu fou, c’est la connaissance des enjeux mondiaux par tous les Malien(ne)s et le droit de nous parler entre nous sans ingérence ni exclusion de qui que ce soit qui viendront à bout de ce phénomène.
Ce sont des questions de vie ou de mort auxquels le modèle économique dominant n’a pas de solutions, qui poussent des pans entiers de nos sociétés à émigrer ou à saisir la perche du djihadisme ou du narcotrafic.
Les revenus substantiels que les artisans touareg, dogon, peulh, bamanan tiraient du tourisme et de l’artisanat n’existent plus, le Mali étant déclaré zone à risque par la France bien avant 2012.
Les communautés agricoles et pastorales qui s’affrontent de plus en plus au centre du pays, tout comme les jeunes qui saisissent la perche du djihadisme ou du narcotrafic quand ils n’émigrent pas, sont des laissés-pour-compte d’un modèle de développement économique non conforme à leurs besoins et source d’insécurités économiques, alimentaires, sanitaires, sociales, émotionnelles et environnementales.
Ce n’est pas l’Alliance pour le Sahel, fondée sur les mêmes pratiques néolibérales qui garantira du travail aux jeunes, de l’eau, des terres agricoles et des pâturages aux agriculteurs et aux éleveurs.
La « bonne gouvernance » qui est sur toutes les lèvres n’a rien à voir avec la qualité de l’Etat, du leadership et des services publics accessibles pour le plus grand nombre. Il s’agit dans le cadre du capitalisme mondialisé, de réformes qui rassurent les grandes entreprises souvent étrangères, de privatisations, de déréglementation, et de la libre circulation des capitaux.
La collusion des intérêts entre acteurs politiques et milieux d’affaires est quasi permanente. Ils ont le même agenda. Quand on ne crée pas un parti, on crée une entreprise et, parfois, les deux. Il n’y a de possibilité d’enrichissement facile et rapide qu’à travers les postes électifs et nominatifs qui donnent accès aux marchés publics et aux financements extérieurs. Et il ne coûte rien à personne de s’autoproclamer entrepreneur(e), quitte à sous-traiter avec ceux et celles qui ont les compétences requises mais pas de réseaux. C’est dire jusqu’à quel point la jeunesse est à bonne école ! Il faut la sortir de ce guêpier en explorant avec elle des alternatives à la dépendance économique, monétaire, militaire, culturelle.
Les donneurs de leçons de gouvernance, c’est ainsi qu’en mars 2014, le Secrétaire Général de l’ONU, attribue de gré à gré plusieurs contrats d’une valeur totale de 34.7 millions d’euros aux groupes français THALES et RAZEL-BEC pour la réalisation de travaux d’infrastructures au nord du Mali (CADTM International et Survie).
A l’allure où vont les choses, nous sommes tous perdants : le Mali et ses frères d’infortune du G5 Sahel certes, mais la France et l’Europe aussi.
Aux peuples frères de France et d’Europe en humanité et en lutte pour leurs droits, nous nous adressons également pour souligner selon les termes de Issa N’Diaye que « Nous avons, face au Capital, le même destin. Nous devons tisser une solidarité de combats entre peuples du Nord et du Sud, entre femmes et hommes, entre jeunes et vieux, entre Humains».
Le Mali a juste précédé la France dans la privatisation du rail et de notre compagnie d’aviation. Les cheminots, les usagers et les habitants des localités qui longent le chemin de fer Dakar/Niger ont souvent été basculés dans la précarité et l’extrême pauvreté. La région de Kayes d’où la majorité des émigré(e)s malien(ne)s en France sont originaires, est au cœur de cette problématique.
Il est, assurément venu, le temps de ce que Joseph Ki Zerbo appelle « le sursaut de l’intelligence pour la défense et l’illustration de la matière grise dans la prise en charge du continent par nous-mêmes ». . Il en sortira, nous l’espérons, une génération de citoyen(ne)s électeurs/trices capables de nommer au même titre que les acteurs politiques maliens, leurs partenaires techniques et financiers (PTF).
Nos nombreux candidats à élection présidentielle totalisent une somme considérable de connaissances, d’expériences et de compétences qui pourrait contribuer à sauver véritablement et durablement le Mali.
Ne cherchons pas à l’arrivée, c’est-à-dire dans le bilan des présidents successifs, démocratiquement élus, une éthique en matière de développement dont nous n’avons pas souligné les exigences au moment de leur confier le destin du pays. « Il ne sert à rien d’accabler les dirigeants du moment. Nous sommes responsables de leur faillite », souligne Issa N’Diaye (Le pouvoir est au bout du fusil).
Des espaces de débats citoyens avec les différentes composantes de notre société et les candidats qui le souhaitent, pourront contribuer à l’instauration d’un climat social serein et la réduction du déficit de connaissance et de dialogue qui nous valent l’impasse économique, militaire et sécuritaire.
L’économie ayant pris le pas sur le politique, l’issue réside dans l’inversion des flux financiers en faveur de notre pays, la gestion et l’allocation rigoureuses des moyens de l’Etat.
Dans la perspective de l’indispensable développement autocentré et durable nous sommes tous des investisseurs parce que plus que les capitaux étrangers qui riment avec extraversion, mauvaise gestion et corruption, notre engagement, moral, intellectuel et physique est potentiellement créateur de richesses, facteur de réconciliation et de paix durable.
« Faisons en sorte également que le marché africain soit le marché des Africains. Produire en Afrique, transformer en Afrique et consommer en Afrique. Produisons ce dont nous avons besoin et consommons ce que nous produisons au lieu de l’importer ». (Thomas Sankara)
La tâche a beau être rude, notre rêve d’avenir, n’a pas pris une seule ride. Osons une nouvelle utopie. N’attendons pas qu’un président sorte élu dans la douleur, la peur et la haine. Notre mémoire collective, notre imaginaire et nos connaissances déterminent nos choix, notre manière de vivre ensemble et de nous projeter dans l’avenir. Commençons dès aujourd’hui à nous écouter mutuellement, à parler les uns aux autres, à veiller les uns sur les autres et à aimer davantage notre pays. Le sachant dur, arrosons-le avec amour et persévérance comme Bouna Boukary Diouara nous y exhorte.
« Vois ! Un jour l’on nous a dit
D’arroser un rocher
Jusqu’à ce qu’il verdisse
Car le rocher est dur.
Un rocher est éternel.
Les paresseux se sont retranchés
Disant à tout moment « c’est folie »
Nous, on a commencé le même jour,
Et durant cinq ans ce fut une corvée
Et quand le rocher fut couvert de mousse
Il était minuit, minuit de septembre
Et nous l’avons baptisé Mali. »
(Bouna Boukary Diouara- Le rocher en feuille- Janvier 1977)
Signataires : Aminata D. Traoré (Essayiste) Seydou Badian Kouyaté (Écrivain), Mahamadou Karamoko Bamba (Penseur africain/Trésor vivant) Issa N’Diaye (Philosophe), Richard Toé (Consultant en communication), Youssouf Traoré (Administrateur civil à la retraite), Ismaël Diabaté (Artiste-peintre), Adama Samassekou (Linguiste), Boubacar Coulibaly (Économiste), Mamadou D. Traoré (Enseignant à la retraite), Ismaël Samba Traoré (Éditeur), Mandé Alpha Diarra (Écrivain), Boubacar Boris Diop (Écrivain), Hamidou Magassa (Écrivain), Coumba Touré (Écrivaine), Diadié Yacouba Dagnoko (Enseignant à la retraite), Sékou Bougadari Traoré (Professeur physico-chimie), Demba Moussa Dembelé (Économiste), Cheick Oumar Sissoko (Cinéaste), Nathalie M’Dela-Mounier (Enseignante), Awa Meité (Artiste), Broulaye Bagayoko (Économiste), Abdoulaye Sangaré (Avocat), Gaoussou Diallo (Enseignant), Moussa Diawara, Amadou Traoré (Journaliste), Omar Sylla (Enseignant/Éditeur), Mamadou Goïta (Économiste), Many Camara (Chercheur), Filifing Sacko (Acteur culturel), Denis Dougnon (Sociologue/Éducation), Brema Ely Dicko (Sociologue), Sidiki Kouyaté (Journaliste), Mamadou Sylla (Imprimeur), Naffet Keita (Anthropologue), Mamadou Bani Diallo (Critique littéraire), Lassana Cissé (Professionnel du patrimoine), Josué Mander Sandjiman (Economiste), Mariam Sidibé (Professeur), Massa Coulibaly (Artiste/Comédien).
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