Madame Diallo Kama Sakliba est la Vice-présidente de l’Organisation Panafricaine des Femmes pour l’Afrique de l’Ouest (OPF), très engagée dans le combat pour l’autonomisation de la femme. Dans l’interview qu’elle a bien voulu nous accorder à l’occasion de la journée de l’Afrique, elle répond à nos questions sur son organisation et sur l’Union Africaine. Lisez plutôt !
NYELENI Magazine : Où, quand et comment est née l’Organisation Panafricaine des Femmes (OPF ?
Mme Kama Sakiliba : L’organisation Panafricaine des femmes est aujourd’hui, une institution spécialisée de l’Union africaine. Elle a vu le jour en 1962 au Tanganyika, actuelle Tanzanie. Elle est née sous le leadership des femmes d’Afrique, qui ont jugé important et indispensable de se mettre ensemble dans la solidarité, dans l’entraide, dans la collaboration afin de créer une seule organisation continentale féminine, en vue de lutter contre le colonialisme et pour l’émancipation de la femme africaine. Donc, elles ont jugé nécessaire de se mettre ensemble car comme on le dit chez nous, un seul doigt ne soulève pas la pierre, elles étaient animées par cette idée qui a pu voir le jour le 31 juillet 1962, au Tanganyika, dans l’actuelle Tanzanie.
NYELENI Magazine : L’insécurité grandissante, plus la pandémie du Coronavirus, que propose l’OPF pour amoindrir l’impact de ces deux phénomènes sur les femmes africaines ?
Mme Kama Sakiliba : C’est une très bonne question, parce qu’aujourd’hui l’Afrique est vraiment éprouvée par différents fléaux. Nous commencerons d’abord par les crises sociales politiques institutionnelles qui minent vraiment les efforts des États d’Afrique. Et cela joue beaucoup sur l’épanouissement des femmes et sur le développement de nos États. En plus de cette instabilité politique qui ne finit jamais, parce que l’Afrique la vit depuis plusieurs décennies, nous sommes actuellement ébranlés par la pandémie de la covid-19, qui depuis 2019, ébranle à son tour le monde entier. Cette pandémie, ça fait tout de même deux ans, que nous la vivons et ça joue pratiquement sur les économies mondiales particulièrement, sur le revenu des femmes qui travaillent le plus souvent dans le secteur informel.
Elles n’ont pas de grands revenus et finalement la pandémie les a obligés à fermer boutiques pour certaines Elle a donc créé non seulement des problèmes sociaux-économiques mais aussi des problèmes de santé, parce que la femme joue un grand rôle dans la famille en Afrique. On dit souvent qu’elle est le pilier de la famille. Elle se débrouille à éduquer et soigner ses enfants à travers le petit revenu qu’elle gagne. Quand ces femmes ferment boutiques ça veut dire que ça joue sur l’économie, sur le développement et l’autonomisation des femmes tant prônée par les peuples africains et par les gouvernements africains.
NYELENI Magazine : Que pensez-vous de la commémoration du 25 mai, journée de l’Afrique que vous avez évoqué tantôt ?
Mme Kama Sakiliba : C’est une question très intéressante ! Comme on aime bien le dire chez nous : « Pour savoir où l’on va, il est important de savoir d’où l’on vient.» Le peuple africain est parti de très loin pour arriver aujourd’hui, à l’heure démocratique. En 1963, quand les États créaient l’Organisation de l’Unité Africaine (l’OUA) et en 1962 quand les femmes créèrent l’Organisation Panafricaine des Femmes (OPF), c’était pour un seul objectif : la lutte contre le colonialisme. Je pense qu’en son temps, l’OUA avait son sens d’exister parce qu’un seul pays ne pouvait pas faire front au colonialisme. Donc, les États se sont mis ensemble dans l’union, dans la solidarité avec les femmes à travers l’OPF pour lutter contre le colonialisme et faire avancer l’Afrique.
Mais aujourd’hui, on ne parle plus de l’émancipation on parle genre. Genre veut dire femme et homme, développement de la femme et de l’homme. Je pense que le développement passe d’abord par la reconnaissance de ce qui a été fait, et de comment ça a été fait et où est-ce qu’on en est aujourd’hui, afin de tirer les leçons et avancer. Si on ne reconnait pas ce qui a été fait, on ne peut pas avancer. On ne peut pas savoir quel autre programme, quelle autre initiative il faut développer. Je pense que ces chefs d’État, ces pères fondateurs de l’Afrique, ces mères fondatrices de l’Afrique ont donné de leur sang pour que l’Afrique soit ce que nous voyons aujourd’hui, pour que politiquement nous soyons indépendants. Cette libération politique a été complétée par la guerre contre l’Apartheid que nous avons gagné ici dans les années 1990.
L’OPF était toujours aux côtés des pères fondateurs pour mettre fin à cette colonisation. Aujourd’hui nous parlons de développement social, du développement économique. Je sais qu’il y’a des enjeux, des défis mais de la façon dont les chefs d’État s’étaient mis ensemble, c’était de la même façon que les femmes étaient parties ensemble, de la même façon nous pouvons travailler main dans la main et faire avancer l’Afrique, quels que soient les défis. Des populations civiles paisibles qui ne savent même pas ce qui se passe sont victimes des attaques. Des tueries, des viols femmes innocentes, des femmes enceintes qu’on tue avec leurs enfants. C’est un drame ! oui c’est un drame, mais je sais que ce n’est pas insurmontable pour les africains si on parvenait à se parler. Je pense que tout le problème est à ce niveau. Si on ne se comprend pas, on devient fragile, et quand on est fragile, on est victime de toutes sortes de violences auxquelles on ne peut pas mettre fin. Alors peut-on donc dire que l’organisation a été à la hauteur des ententes vis à vis du continent ? Je disais tantôt que l’organisation a été à la hauteur des attentes.
Je disais aussi qu’il faut diviser la poire en deux, pour que le continent aille de l’avant, que chaque individu qui compose le continent, chaque homme et femme qui compose le peuple africain, doit savoir qu’il a une pierre à poser ; poser et positiver. Les gouvernants ont leur rôle dans ce que nous vivons aujourd’hui. Les attentes bien sûr ne sont pas comblées, mais chacun doit jouer son rôle. Les gouvernants doivent jouer le rôle de la bonne gouvernance. Ils doivent être des paravents entre la population et tout ce qu’il y a comme danger. C’est quoi le danger ? Le danger c’est la faim, c’est l’analphabétisme, c’est la maladie et tout ce qui s’en suit. Et les peuples africains doivent savoir aussi, que ces gouvernants ne peuvent rien sans notre appui, sans notre coopération, sans notre collaboration. Nous sommes des citoyens, nous devons cultiver la paix. Nous sommes des citoyens, nous devons œuvrer à mûrir nos frères et sœurs, nos concitoyens. Que chacun agisse là où il est, je pense que l’Afrique ira de l’avant, elle se portera mieux.
NYELENI Magazine : Selon vous, que doit-on exiger de l’UA pour que les acquis que vous venez justement d’énumérer se fortifient davantage pour l’indépendance totale non seulement du continent mais aussi de la femme africaine ?
Mme Kama Sakiliba : L’UA a déjà fait un programme que nous appelons Agenda 20/60. Si vous prenez techniquement cet agenda, vous le lisez bien, vous verrez que ça répond aux aspirations africaines. Mais pour sa mise en œuvre, l’UA doit développer, je veux dire chaque pays doit développer des politiques en écoutant son peuple pour pouvoir le mettre en œuvre. Nous avons des valeurs sociales et culturelles. Nos États adoptent des textes qui ne peuvent pas être appliquées au niveau de leur pays. Ils doivent écouter le peuple, ils doivent tenir compte des valeurs socioculturelles. On peut les surmonter, mais il faut du temps, il faut la stratégie et la méthode et les gouvernants seuls ne peuvent pas développer ses méthodes. J’ai dit des méthodes parce que, ça diffère selon les pays, selon les réalités socio-culturelles de chacun. Si les gouvernants écoutent le peuple, on aura certainement des avancées.
NYELENI Magazine : Quel message aviez-vous à l’endroit de la femme africaine, cette couche sur laquelle repose beaucoup d’espoir ?
Mme Kama Sakiliba : Les femmes constituent toujours l’espoir des familles, des sociétés et de tout un peuple, mais elles aussi ont de gros problèmes dont il faut parler ici. J’ai parlé du problème d’analphabétisme, les femmes sont moins instruites, j’ai parlé de problème de santé (quand tu prends la mortalité néonatale, les femmes en souffrent beaucoup), si je prends les nouvelles technologies de l’information, il y’a une fracture numérique entre les hommes et les femmes. Sinon, si vous prenez l’exemple dans le secteur du développement, elles sont partout. Elles sont partout mais n’ont pas assez de moyens. Elles n’ont pas assez d’instruction nécessaire, elles n’ont pas assez d’espace.
Quand je parle d’espace, je me réfère aux femmes rurales qui n’ont pas la terre qu’il faut, les intrants qu’il faut pour travailler efficacement, pour nourrir nos familles et nos sociétés. À cela s’ajoutent les conflits avec son corolaire de violences, viols etc. Donc, la lutte pour la cause de la femme est une lutte légitime, une lutte pour le développement. Pour faire avancer les choses au niveau des femmes, j’en appelle à la compréhension, à l’entraide. Il y’a d’autres qui ne veulent pas qu’on parle de leadership pourtant, il le faut. Il faut qu’il ait des leaders pour pousser et faire avancer les choses. Ce que nous cherchons, ce n’est que le droit à l’égalité. Donc le combat pour l’égalité doit être une question pour tous.
Propos recueillis par Amadingué Sagara et Elizabeth Théra.