Artiste comédienne, elle a évolué sur toutes les scènes du théâtre au cinéma en passant par l’animation à la radio. Dans son domaine elle était une référence artistique malienne et africaine. Une comédienne aux multiples talents et aux surnoms multiples comme Ba Lalla, Bouran Mousso Djougou, Nabou N’Diaye..Décédée le jeudi 10 juin 2021 à 66 ans au CHU Mère-Enfant Le Luxembourg. Elle repose désormais au cimetière d’Hamdallaye à Bamako.
Nous revenons sur l’interview que la ségovienne de souche nous a accordée, il y a quelques années, elle affirmait qu’un « homme ou une femme de théâtre est comme un médecin avec sa blouse et qui a sa petite pierre pour bâtir le pays ». Elle affirmait aussi que « le statut de la femme rurale n’avait pas changé ». Relisez son Interview. Une façon pour nous de lui rendre encore cet hommage mérité.
NYELENI Magazine: Nous aimons bien la combinaison entre un prénom musulman et chrétien. Qu’elle est l’histoire liée à votre nom?
Maïmouna Hélène Diarra : Cette combinaison de mon nom vient du polythéisme de mes parents. Mon père est musulman et m’a donné́ le prénom Maïmouna. Pour ma maman, une catholique, je suis Hélène. Donc chacun d’eux m’a donné́ un nom. Voilà̀ pourquoi je me nomme Maïmouna Hélène Diarra.
NYELENI Magazine: Comment Hélène est passée du théâtre au cinéma en passant par l’animation à la radio nationale?
Maïmouna Hélène Diarra : Tout est un hasard ! Depuis ma tendre enfance au second cycle, j’étais douée en art, en musique et en peinture. C’est en 1975, que le groupe dramatique appelé́ KOTEBA est passé à San, lors de l’une de ses tournées dans les régions. C’est ainsi que j’ai rencontré́ le groupe, car en ce moment mon père était le juge de San. Lorsque j’ai vu le groupe dramatique, ça m’a donné́ envie de jouer au théâtre et m’a fait changer d’option.
Je voulais au départ venir à l’Institut National des Arts (INA) pour faire de la teinture ou de la Musique. Mais, quand j’ai vu le Kotéba, j’ai décidé́ de faire le théâtre. J’ai commencé́ à jouer avec le groupe avant la fin de mes études à l’INA parce qu’il y a eu la grève qu’on appela «Boniface Greve» entrainant la fermeture des établissements, tous étaient fermés. J’ai travaillé́ comme contractuelle avec le groupe deux ans avant la réouverture des classes. C’est après qu’on m’a orienté au groupe de dramaturgie où j’ai travaillé́ pendant dix ans. De là-bas, j’ai demandé́ à aller à l’ORTM comme assistante de presse et de réalisation tout en continuant avec le théâtre.
Quant à ma venue au cinéma, quand j’étais à l’école avec la suspension, j’ai eu à travailler avec Souleymane Cissé dans YEELEN. C’était mon premier film. J’avais la curiosité́ de voir comment on tourne un cinéma. Je jouais de la figuration avec les étudiants. Et c’est comme ça que le goût m’est venu. J’ai après tourné dans le film Nyamantô de Cheick Oumar Sissoko. Et je continuais avec le tout (théâtre, radio et cinéma) en même temps.
NYELENI Magazine : Certains cinéphiles confondent l’acteur avec le personnage représenté́. Avez-vous eu un cas semblable ?
Maïmouna Hélène Diarra: J’ai eu beaucoup de cas. Je me rappelle quand je suis allée à Bougouni pour jouer «Bouran Mousso Djougou», c’était tellement bien joué que les gens ont cru que c’était la réalité́. Avec le personnage de Nabou N’Diaye, quelqu’un m’a insulté lorsque je jouais. Pendant que je jouais Bouran Mousso Djougou aussi au Centre International de Conférence de Bamako (CICB), il y un gars qui s’est levé́ et a dit qu’il n’est pas d’accord avec la vieille. Quand je suis sortie, il m’a appelé́ de côté́ et m’a dit : Madame, ce que vous venez de faire, j’espère que ce n’est pas le sérieux ? Je lui ai répondu que je blaguais. Il me répondit : tant mieux pour toi ! Ce sont des cas parmi tant d’autres.
NYELENI Magazine: Quelles ont été les difficultés rencontrées dans votre carrière ?
Maïmouna Hélène Diarra: Les difficultés ne manquent pas parce qu’au début le théâtre était très méconnu au Mali. On pensait que ceux qui faisaient le théâtre étaient des gens qui n’ont pas pu poursuivre les études ou qui n’ont jamais été à l’école ou de mœurs légères. Présentement les gens ont compris qu’un homme de théâtre, c’est comme un médecin avec sa blouse, un juge avec sa robe. Les gens pensaient que le rôle qu’on jouait c’était comme ça qu’on était dans la vie de tous les jours. Nous avons notre petite pierre pour bâtir le pays. Maintenant, tout le monde peut tourner. Du point de vue technique, il y a eu beaucoup de changements. Avec sa petite caméra, tout le monde peut faire son petit film. Une seule personne peut tourner son film et le monter grâce au numérique. Avant, on avait besoin de cassettes, de bandes… Il y avait la production, l’avant-production, la post- production… Maintenant, il n’y a plus tout ça dedans.
NYELENI Magazine: Qu’est-ce-qui a été votre plus grande satisfaction dans le travail ?
Maïmouna Hélène Diarra: La satisfaction du public est ma satisfaction, savoir que ce que je fais est aimé́ par le public. Le fait de plaire aux gens est ma grande satisfaction. C’est à travers le cinéma que tout le monde parle d’Hélène.
NYELENI Magazine: Avez-vous eu des prix ou une reconnaissance du Mérite national ?
Maïmouna Hélène Diarra : J’ai eu de nombreuses distinctions nationales comme la Médaille du Mérite national par les deux présidents qui viennent de passer, mais aussi par l’actuel. en 2006, j’ai reçu la distinction de Chevalier de l’Ordre national. J’ai été élue «Meilleure comédienne» d’Afrique de l’Ouest en 2008. J’ai aussi été désignée Icône du cinéma africain à Abidjan (Côte d’Ivoire) et élevée aussi au grade d’Officier de l’Ordre national du Mérite.
NYELENI Magazine: Quel rôle avez- vous aimé le plus dans vos différents film?
Maïmouna Hélène Diarra : Mes personnages ? C’est presque la même chose ! Grand-mère ou une femme âgée. J’aime tous mes rôles. Mais, j’ai aimé́ Bouran Mousso Djougou, Gouverneur de la rosé avec deux familles qui se bagarrent pour une parcelle de terrain.
NYELENI Magazine: Vous avez joué différents rôles de la femme dans vos films. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez du statut de la malienne des quatre points cardinaux du pays?
Maïmouna Hélène Diarra: On dit qu’il y’a l’égalité́ de genre, je me demande de quel genre d’égalité́ ? Peut-être qu’il y a des femmes en ville qui ont évolué́. Mais, le statut de la femme rurale n’a pas changé́. Les femmes rurales font les mêmes activités, depuis des décennies, les maris sont là et ce sont eux qui commandent toujours. Elles n’ont pas de décisions, elles n’ont pas droit à la parole concernant la famille. Je dirai que le statut de la femme rurale n’a pas changé́.
NYELENI Magazine: Vous êtes une référence pour la nouvelle génération. Quel conseil avez-vous pour la jeunesse?
Maïmouna Hélène Diarra : Entre la jeunesse d’aujourd’hui et celle de notre temps il y a une grande différence. Nous, nous étions dominés par nos parents. Maintenant, il y a trop de laisser-aller. Aujourd’hui, peut-être dans quelques familles nucléaires, les parents dominent encore. Sinon dans les grandes familles ce n’est plus ça. La jeunesse actuelle n’a pas de repères, ça n’engage que moi. Il est grand temps que les gens se ressaisissent, que les parents éduquent.
L’éducation à tendance à se perdre du côté de la fille comme du garçon, ne serait-ce que la tenue vestimentaire. Il y a la dépravation et les garçons qui ne peuvent plus supporter leur pantalon et les filles qui s’habillent moitié nues. Avant, on disait que tout homme qui ne peut pas supporter son pantalon ne peut pas diriger une famille. Alors que, c’est ce qui est à la mode aujourd’hui. Il faut que les enfants se battent car ils sont l’avenir de ce pays.
Article publié dans Nyeleni Magazine 83 en 1996/Propos recueillis par Nindeye