Dans une une lettre adressée à ses compatriote le 25 juin 2020, l’ancien Premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga fait une analyse de la crise qui secoue notre pays et propose des solutions pertinentes dans l’intérêt du pays. Voici la teneur de ladite lettre.
Chers concitoyens,
L’ensemble national vit un moment de grandes fragilités faisant écho de la critique sociale qui suggère fortement à l’Etat malien d’autres manières d’agir et de gérer le bien commun.
Dès lors que l’Etat cesse d’être juste, il crée lui-même les conditions de l’émergence d’une volonté de s’affranchir de la résignation et de tous les abus. Il y a un déni des évidences d’autant que les abus se sont succédé depuis la mi-janvier 2020. Cette situation critique interpelle toute bonne conscience.
Cette lettre est un Appel à la Raison. Elle s’adresse à tous nos compatriotes, singulièrement aux acteurs politiques du M5- RFP ainsi que du CFR qui divergent de la lecture de l’algorithme électoral, des pratiques de gouvernance et des moyens d’une sortie de crise.
Alors interpellés, nous le sommes, et assez nombreux à y réfléchir, car le ciel malien s’était déjà assombri le 17 janvier puis le 22 mars 2012. Depuis huit ans, la Résilience des braves populations maliennes mérite d’être saluée. Des populations en proie à tant de déserts, aujourd’hui soumises à l’épreuve de la pandémie du coronavirus.
Notre pays est la malheureuse victime d’erreurs d’aiguillage. On peut relever plusieurs entorses à l’obligation de l’Etat à protéger les droits individuels et collectifs. Et de nombreux observateurs auront été témoin des usages erratiques des différents préceptes suggérés ces deux dernières années pour plus de paix et de stabilité. Malheureusement, l’intérêt sinistre rend sourd et fait du courage de toute force de proposition de solutions, source de déraison aux relents de prolifération intellectuelle suspecte.
Les Elections, pour être crédibles, encore une fois – celles-ci doivent être organisées dans un environnement sécurisé permettant à l’Etat de déployer ses agents et ses représentants sur le terrain. Des séquences normatives ont été mises entre parenthèses. La suite est connue, et ces événements malheureux auraient pu être évités, et l’abscisse des fragilités aurait également pu être mieux définie. L’algorithme électoral en question, fonctionne seulement avec la participation effective des électeurs au scrutin. C’est en cela qu’il permet de transformer un nombre réel de votants physiques en nombre de sièges.
Quant à la Cour constitutionnelle en cause, elle dispose d’une faculté d’empêcher ; toute chose qu’elle a outrepassé. Et comme toutes les Cours, elle est soumise à la double contrainte de motiver ses décisions et de maintenir la cohérence de sa jurisprudence. Ce ne fut point le cas.
Ces temps si fragiles, en dépit des errements et des turbulences, pourraient être aussi celui des mesures uniformes découlant de l’analyse objective des contradictions actuelles, à condition que l’aptitude active du moment ne soit diluée au travers des pratiques d’escompte, véritable obstacle à la faculté d’adopter des résolutions pertinentes pour l’avenir et la jurisprudence. C’est là, un appel à la justice.
La triste situation du moment, à l’origine et tout au long de son développement, peut se résumer à deux expressions célèbres de ce qui a été appelé par un philosophe contemporain, la faiblesse de volonté : «Je vois le bien, je l’approuve et je fais le mal» dit Médée sous la plume d’Ovide ; «Je ne fais pas le bien que je veux, tandis que je fais le mal que je ne veux pas» déplore Saint Paul.
Cet appel est aussi l’écho de certaines démarches souhaitées par des compatriotes maliens, des républicains qui souffrent de ces déchirements et de ces empoignades fratricides. Il urge alors de refuser toute confrontation inutile, car le sang des maliens a déjà beaucoup coulé. Pourquoi, il importe de savoir élever la volonté générale à hauteur d’un destin collectif des maliens ! Après une réflexion approfondie, il nous est apparu indispensable d’inviter les parties à emprunter la voie d’une médiation républicaine assortie de suggestions et actions urgentes ci-après :
Accepter le Dialogue M5-RFP/CFR sous l’égide du Haut Représentant de l’Union Africaine, S.E Pierre Buyoya assisté d’un haut magistrat de son choix. Chacune des parties se fera représenter par sept de ses membres. S.E Buyoya disposera de cinq jours pour boucler les échanges et rendre ses conclusions deux jours après.
Le Haut Représentant de l’U’A organisera une rencontre spéciale entre le Président de la république et l’Imam Mahmoud Dicko durant trois jours d’intenses échanges. S.E Buyoya assistera à l’ouverture et à la clôture de ces échanges. Cette rencontre spéciale sera l’occasion pour ces personnalités de trouver par devoir, une position qui pourrait être partagée par le plus grand nombre de nos concitoyens.
S.E Buyoya pourrait assister l’Imam Dicko qui aura la charge de livrer les points d’entente et/ou de désaccord. En cas de désaccord, un autre temps d’échanges pourrait avoir lieu. A l’issue de ce processus, une feuille de route détaillée pourra être adoptée par les parties en présence, sous l’égide du Haut Représentant de l’U.A. Cette démarche doit viser à faire du Mali, un Etat juste, raisonnable et rationnel.
La communauté internationale (U.A, CEDEAO, ONU, U.E) sera alors invitée au respect des choix consensuels et mesures uniformes des Maliens, tout en facilitant la libération des régions du Nord et du Centre qui, à l’épreuve de la crise multiforme, affirment de plus en plus leur utilité et leurs richesses. La récente crise faite de rassemblements impressionnants et pacifiques résulte de situations critiques qui devraient se traduire comme une forte incitation à repenser les règles de la démocratie constitutionnelle au Mali.
Somme toute au moyen d’un bon lénitif, méditons cette pensée(Tite-Live) selon laquelle : «Mieux vaut la paix certaine que la victoire espérée».
Tous autant que nous sommes, nous voulons la paix, d’autant qu’elle permet au peuple tout entier d’exercer sa pleine souveraineté dans un Mali uni et stable.
Bamako le 25 juin 2020
Abdoulaye Idrissa MAÏGA, Ancien Premier ministre