Au moment où le XXIème siècle se singularise tragiquement par des bouleversements humains effroyables avec 72 millions de personnes déplacées à travers la planète, de prime abord – nous sommes préoccupés par la place que devrait avoir la paix dans les priorités contemporaines.
Depuis sept ans, chez nous au Mali, se meurt le territoire national, d’abord le Septentrion, puis le Centre du pays, vidé progressivement de ses enfants, assassinés sauvagement ou résistant courageusement sous le coup de la terreur et de la psychose.
Nous sommes stupéfaits devant le spectre d’un viol de l’Histoire des empires et des royaumes qui ont forgé le Mali comme un bien immatériel indivisible et incessible.
Alors, « Il faut [ré] apprendre à vivre ensemble comme des frères [que nous sommes] sinon nous allons périr ensemble comme des misérables » (Martin Luther King)
Nous, membres du Centre Africain d’Etudes et de Recherche-Action pour la Paix (CAERAP), sommes conscients que tous les Maliens sincères de bonne volonté, jouissant d’un équilibre moral et mental normal, sont animés de la conviction profonde que la condition primordiale de la même plénitude au sein d’une nation aspirant à une existence harmonieuse entre ses composantes repose avant tout sur une paix responsable et durable.
- Forts de cette certitude, nous nous faisons un devoir de lancer cet appel pressant pour la paix au Mali à toutes les bonnes volontés et autorités à la tête d’Etats souverains, d’organisations interafricaines ou internationales, dépositaires d’une responsabilité de quelque nature ou à quelque degré qu’ils soient, pour les sensibiliser sur l’impérieuse nécessité d’une mobilisation d’envergure aux fins de la sortie définitive et irréversible de la crise lancinante qui n’a que trop duré, hypothéquant gravement toute perspective de développement de notre cher pays, le Mali, sévèrement mis à mal par tant d’atrocités commises dans les régions meurtries du Centre et Nord/Nord-Est.
- La douloureuse crise à laquelle notre pays est confronté depuis 2012 et qui a donné lieu en 2015 à l’Accord pour la paix et la réconciliation est la résultante d’un ensemble de situations dont le traitement, non exempt de maladresses, a abouti à une sorte d’impasse rendant inéluctable une issue tragique laissant le pays dans un état exsangue, en quête d’une stabilité de l’édifice dans l’illusion d’un train-train improbable voire aléatoire.
- Nous ne saurions passer sous-silence les dysfonctionnements et les manquements graves à la morale aux conséquences particulièrement préjudiciables à la gestion de cette crise, affectant sérieusement la cohésion et le fondement même de la nation. Nous ne saurions, non plus, taire un certain ordre impie qui plombe tout espoir de paix et qui met à mal l’unité nationale alors même que les exigeantes urgences sécuritaires, sociales et humanitaires incitent à rassembler tous les Maliens sans condition, et à hâter le pas pour aller au bout de tous les efforts nécessaires.
- Pendant de longues semaines, du 5 janvier au 6 avril 2019, nos équipes ont sillonné le pays : les régions de Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou, Mopti, Tombouctou, Gao, Bamako. Partout, les populations de toute condition ont librement et abondamment exprimé leur perception de la situation, leur profond ressenti devant les événements quotidiens et dramatiques qu’ils vivent, en dépit des initiatives et solutions supposées nous conduire vers la paix.
- La cruelle réalité est la suivante : il est frappant de se rendre compte que l’écrasante majorité de nos concitoyens ignore tout ce qui est entrepris pour sortir le pays du piège horrible qui s’est refermé sur lui au cours des sept dernières années infernales. Et quand il arrive que certains aient entendu parler de telle ou telle initiative, ils n’en ont qu’une vague idée en déphasage avec la réalité des faits laissant, parfois libre cours à des interprétations aussi diverses qu’incohérentes.
- Ces interprétations s’accompagnent souvent d’une incompréhension des solutions préconisées qui leur sont présentées comme salvatrices. L’espoir qui avait germé dans les esprits un temps s’est mué en interrogations devant l’escalade tragique de la violence pour se transformer en désespoir assorti d’une hostilité à l’endroit de ceux qui avaient été présentés comme de potentiels sauveurs ou amis du Mali. Au fil du temps, les atrocités les plus abominables succèdent aux agressions récurrentes les plus odieuses !
À l’écoute des populations, il apparait impératif d’être attentif au cri de détresse d’une population désemparée. Devant l’extrême exaspération des citoyens, il devient urgent d’élever davantage les enjeux à la hauteur d’un destin collectif orienté vers la paix et un mieux-être. Ces échanges avec les populations de tout bord auront permis l’expression d’aspirations franches et significatives :
– Les maliens interpellés à travers la crise ne sont pas convaincus de la pertinence des choix prioritaires sur les chemins de la Paix;
– Les populations, en une écrasante majorité, jugent insuffisants les efforts déployés pour la recherche d’une paix durable,
– Un soutien ferme aux FAMAS, exprimé avec clarté de la part des personnes consultées qui dénoncent les conditions et le décalage dans l’autonomie et l’équipement par rapport aux contingents étrangers.
– La présence des forces étrangères est devenue alors problématique, faute d’efficacité concernant la Minusma, et d’actions d’échelle au niveau de Barkhane. Autrement dit, ces deux entités doivent rapidement s’inscrire davantage dans une logique d’efficacité et de réalisme. Il s’agit, non pas d’un recentrage, mais bel et bien de revoir leurs objectifs opérationnels au regard du péril sécuritaire dans lequel notre pays est englué.
– Il est grand temps de conditionner la présence de toute force étrangère à des résultats plus tangibles et des stratégies partagées suivant un plan de soutien global visant à enrayer le terrorisme et la criminalité transnationale. Ce plan doit être assorti d’un chronogramme et d’indicateurs vérifiables dans l’optique d’un appui coordonné autour des Forces maliennes de défense et de sécurité.
– Les mécanismes de mise en œuvre de l’accord de mai-juin 2015 doivent être réajustés voire révisés en raison d’un fort taux d’insatisfaction recueilli auprès des populations. Il est impératif de proclamer sans délai la fin de ladite période intérimaire qui n’aurait jamais dû s’appliquer aux régions de Gao et Tombouctou.
- Les Maliens de la base, de l’Ouest à l’Est, du Nord au Sud, ne comprennent pas que rien n’ait été entrepris pour leur expliquer les tenants et aboutissants des décisions cruciales dont la mise en œuvre les concerne au premier chef.
- Les accords, quelles que soient les bonnes intentions qui les auraient inspirés, sont inexorablement voués à un sort précaire aussi longtemps que les populations de base qui en sont les principaux bénéficiaires ne sont véritablement pas imprégnées du bien-fondé des résolutions et, loyalement associées à leur mise en œuvre.
- Au vu de ce qui précède, nous invitons tous les partenaires du Mali, en l’occurrence, la Commission économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union Africaine, les Nations Unies, singulièrement son Conseil de sécurité, l’Union Européenne et en particulier la République française, tous nos partenaires bilatéraux à travers le monde, à un réexamen sérieux et plus responsable de leur approche de la nature de la crise malienne, en prêtant une attention beaucoup plus grande aux points de vue des populations maliennes de base qui sont les vraies victimes des horreurs et des affres de cette situation dont la durée exceptionnellement longue interpelle fortement.
10.Nous les invitons tout particulièrement à revoir leur mode d’évaluation de ce qui se passe réellement sur le terrain en mettant tout en œuvre pour mieux s’informer à des sources fiables sur le théâtre des opérations. La pratique du dialogue et la participation effective des concernés à ce genre d’échanges s’avèrent des modes opératoires nécessaires et indispensables.
- La décentralisation doit faire l’objet d’une concertation autrement plus réfléchie que ne le reflète le contenu équivoque et ambigu de l’Accord pour la paix et la réconciliation.
- Les projets de développement devraient nécessairement faire l’objet de consultation véritable avec les acteurs concernés. Les actions de reconstruction tardent à se concrétiser dans les zones victimes de l’insurrection rebelle dont la récurrence pèse encore sur la permanence de l’organisation étatique.
- La crise a mis en évidence les limites d’une véritable culture démocratique dans le fonctionnement de la société malienne. Il s’en est suivi une phobie inexpliquée des élections au suffrage universel. Une réflexion approfondie s’impose à cet égard.
- Aussi, une de ces grandes espérances serait le renforcement de la qualité de l’apprentissage scolaire et technique plus tourné vers le développement intégral de tout Malien et de tous les Maliens. Nous pensons que l’éducation doit viser à la fois l’acquisition d’un savoir-faire et d’un savoir-être pour un équilibre dynamique des rapports de citoyenneté entre toutes les composantes de la nation.
- Dès lors, il est urgent d’œuvrer au développement de la cohésion communautaire et la concorde interculturelle dans une perspective d’acceptation mutuelle et d’intégration pour le mieux-vivre ensemble.
- Dans cet esprit, il est important d’INSTITUER UNE JOURNÉE DE LA PAIX, CÉLÉBRÉE CHAQUE ANNÉE, À TRAVERS TOUT LE MALI !
- L’Appel pour la Paix au Mali s’adosse tout naturellement à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme dont le préambule soutient que «la méconnaissance et le mépris des droits de l’Homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité, et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’Homme ».
- Le dialogue et la concertation sont deux vertus sur lesquelles nous insistons tout particulièrement car elles favorisent la compréhension mutuelle qui peut aboutir au changement de comportement tel que le préconise l’Acte constitutif de l’UNESCO qui proclame que : « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut élever les défenses de la paix ».
- L’Appel que nous lançons à tous les amis du Mali de par le monde est un rappel de ce qu’a écrit John Donne, un écrivain anglo-saxon : «nul homme n’est une île en soi ; nous appartenons tous au même continent et chaque fois que tu entends sonner le glas, ne demande pas pour qui il sonne, il sonne pour toi ».
Le Mali a donc besoin de l’humanité dont elle est partie intégrante. La motivation qui a inspiré cet appel est une cause sacrée pour tous les Africains et pour toute la communauté humaine. Mais, nous n’oublions pas qu’el le exige fondamentalement de chaque Malien des sacrifices pouvant aller jusqu’au don de soi.
Les populations des régions septentrionales réclament la Vérité dans la Justice et plus d’Equité ; celles du Centre revendiquent Justice et une Volonté ferme comme jamais ; à l’Ouest et au Sud, elles renvoient aux valeurs de probité et aux traditions de courage, du respect de l’autre, de concertation et de dialogue fraternel.
Oui, Nous proclamons partout que la Paix demeure la haute priorité; et chacun doit, de tout son être, tendre vers cette grande espérance : la PAIX nourricière des Libertés et de la Dignité ; la PAIX, fille vivante de la ferme Volonté. Voilà pourquoi, nous faisons appel à la Raison des hommes.
Bamako, le 6 juillet 2019
Le Président du C.A.E.R.A.P
Abdoulaye Idrissa MAÏGA
Ancien Premier ministre